Argumentaire:
"Dès l’invention de la photographie, les fortes contraintes auxquelles
était soumis le médium trouvaient leur compensation dans sa
particularité novatrice d’être empreinte d’ici et maintenant réels.
Mais le format relativement restreint et la planéité des images
semblaient les condamner à des usages privés et à des dispositifs de
monstration soit muraux (sous forme d’exposition, les images se trouvant
alors accrochées isolément les unes des autres, souvent protégées par
un passe-partout et encadrées), soit imprimés dans des revues (on pense à
Camera Work et toutes celles qui ont suivi) ou des livres...
Divers exemples traduisent cependant le souhait précoce d’élargir ces
modalités ; c’est par exemple le cas avec la photographie de frontière
américaine: les grandioses paysages de l’Ouest qui allaient contribuer à
fonder l’unité nationale du pays étaient exposés en assez grands
formats, mais aussi diffusés sous forme d’images stéréographiques
produisant la perception de paysages en relief et favorisant une
projection individuelle intime. Déjà, il était question de faire entrer le spectateur dans l’image.
Avec la modernité, les expositions commencèrent à présenter dans le
champ artistique des accumulations d’images de formats divers (voir « Film und Photo » à Stuttgart en 1929 ou « The Family of Man » conçue
par Edward Steichen en 1955). Puis, l’avènement dans les années 1980 de
ce que Jean-François Chevrier appela la « forme tableau » proposa de
très grands formats, visant même parfois l’échelle 1/1 et exploitant
éventuellement aussi des caissons lumineux pour accentuer l’effet de
présence (comme les transparencies de Jeff Wall). D’autres
artistes, se référant au format et aux codes de l’affiche, allèrent
jusqu’à créer – telle Barbara Kruger dès 1989 – des environnements
occupant tout l’espace, du sol aux murs et au plafond ; les modalités
d’accrochage, sous l’impulsion de Wolfgang Tillmans, se diversifièrent,
aboutissant à des sortes de constellations qui offraient de nouvelles
relations entre les images, s’insérant dans des architectures existantes
(Beat Streuli) ou encore engendrant l’ambiguïté d’un illusoire
inachèvement (Sophie Ristelhueber, La Campagne).
Dans le courant des hybridations de la période postmoderne et avec le
développement des installations, les tirages photographiques devinrent
des éléments intégrés dans des projets alliant divers matériaux, mais
jouant cependant toujours des spécificités indicielles du médium – par
exemple dans les travaux de Christian Boltanski (Monuments et Autels du Lycée Chase), Alfredo Jaar (Paysage avec des images du Rwanda), Sophie Calle, Michael Wolf (The Real Toy Story),
etc. Par ailleurs, la projection de photographies fut exploitée sous
diverses formes, des diaporamas d’intimité de Nan Goldin aux projections
nocturnes de photographies historiques juives dans des espaces urbains
de Shimon Attie (Berlin, 1991) ou encore aux projections de
visages humains sur volumes divers de Tony Oursler ou de papillons de
Bertrand Gadenne que « révélait » dans l’obscurité la main du
spectateur. Dans tous les cas, l’effet de réel attaché à la photographie
se trouve amplifié, que ce soit par l’extension de l’image vers
l’échelle 1/1 ou par l’immersion physique et mentale du spectateur.
Aujourd’hui, alors que la photographie est devenue omniprésente,
désacralisée sans pour autant perdre son pouvoir de suggestion et de
captation d’attention, les artistes – mais aussi parfois les
commissaires d’exposition – n’hésitent plus à l’utiliser sous des formes
qui auraient pu sembler iconoclastes dans les décennies précédentes,
que les images soient entassées, se cachant les unes les autres, en
conglomérats envahissant l’espace (Erik Kessels, Thomas Hirschhorn, Wang
Du...) ou en de grands tirages collés à même les murs (voir la récente
exposition « Refaire surface » organisée à Albi par le collectif Suspended Spaces).
De gigantesques tirages servent parfois aussi de support à d’autres
photographies (comme ce fut le cas dans plusieurs expositions des
Rencontres d’Arles 2017). Enfin, dans de nombreuses œuvres, l’image
photographique initiale est modifiée, réadaptée à de nouveaux contextes,
fragmentée, démultipliée ; elle devient matériau à transformer en
fonction de projets qui la déploient dans l’espace, souvent hybridée à
d’autres éléments. Avec le numérique, de nouveaux dispositifs voient le
jour (certains mêlant photo et son, photo et vidéo, photo ou capture
d’écran et objets, mobiliers... chez Maurice Benayoun, Fiona Tan,
Clément Valla, Émilie Brout & Maxime Marion, etc.), des
installations interactives (George Legrady, Scenocosme...), des
installations holographiques... Les lieux d’exposition s’ouvrent aussi
au Web qui permet la conception de dispositifs photographiques jouant
d’ubiquité, reliant l’espace de la galerie au cyberespace, appelant à la
participation du spectateur, etc.
La photographie s’étend, prend du volume, occupe l’espace, devient un
matériau parmi d’autres tout en conservant un lien troublant au réel,
qui se trouve alors démultiplié.
Les articles proposés pourront interroger la dimension théorique de
ces diverses formes de spatialisation de la photographie. Ces dernières
semblent-elles pallier une déficience initiale du médium ou accentuer
encore son ambiguë richesse ? Permettent-elles de créer un espacement,
suggérant d’autres conceptions de la photographie ? Correspondent-elles
à une évolution générale de l’art, qui privilégie l’expérience à vivre
(par rapport à la représentation à observer), l’errance physique et
mentale (aux dépens de l’immobilité) ? Quels sont les liens de cette
spatialisation de l’image photographique avec les questions des flux et
des transformations, avec la dimension malléable et éphémère des images
actuelles ? Peut-on y voir parfois un ancrage de la photographie dans la
matérialité, lui conférant une nouvelle consistance à un
moment où elle semble se dissoudre dans l’indétermination des flots
d’images ? Sur quels positionnements esthétiques mais aussi idéologiques
reposent certaines démarches de spatialisation des images? Des études
de cas sont également attendues, qu’elles concernent des scénographies
intégrant de manière particulière les photographies à l’architecture des
lieux d’exposition, l’incorporation des images à des installations
mêlant matériaux divers, ou des dispositifs les propulsant dans une
troisième dimension... et au-delà.
Modalités de soumission d’article et calendrier
Les propositions de contribution (2 000 à 3 000 signes) sont à envoyer avant le 31 décembre 2017 à Christine Buignet : christine.buignet@univ-amu.fr
- Format des propositions : texte de 2 000 à 3 000 signes, accompagné d’une bibliographie indicative et d’une brève notice bio-bibliographique
- Notification de l’acceptation des propositions : 31 janvier 2018
- Envoi des articles (de 25 000 à 35 000 signes) : avant le 30 avril 2018
Les auteurs suivront les consignes de rédaction consultables sur le site de la revue Focales.
Les articles seront soumis à une double expertise anonyme.