jeudi 25 février 2010

Panorama de la photographie marocaine


Cliquez sur l'image pour la voir en grand


TEXTE D’INTRODUCTION DU CATALOGUE DE L'EXPOSITION


Après une première rencontre avec Jaâfar Akil en 2007, suit une invitation en décembre 2008 produite par l’Association Marocaine d’Art Photographique (AMAP, de Meknès) à la galerie NegPos de participer au 13ème Salon National d’Art Photographique (Rabat). De mars à juillet 2010, c’est au tour des photographes marocains d’exposer à Nîmes et de conforter ces premiers échanges. Equilibre et estime réciproque, passion pour la photographie, désir de rencontres par delà les frontières, nourrissent à la racine ce dialogue. La photographie au Maroc est depuis déjà quelques années en pleine effervescence et ce n’est pas un hasard si elle s’est retrouvée récemment avec celle de l’Iran, en première ligne d’un marché prometteur lors de la dernière foire de galeries PARIS PHOTO.

Qualité, diversité, engagement, radicalité des points de vue, les arguments attestant de la richesse de la photographie marocaine contemporaine ne manquent pas. Et il serait vain d’essayer de distinguer une photographie de l’extérieur, produite par les photographes de la diaspora marocaine européenne supposés plus connectés aux mouvements contemporains, d’une photographie marocaine de l’intérieur moins au fait des tendances. Ici pas de hiérarchie de valeurs, les deux cohabitent harmonieusement et qualitativement, et on ne saurait définir parmi ces auteurs qui est établi au Maroc et qui ne l’est pas.

L’être humain et la ville sont deux des points d’ancrages communs les plus évidents des photographes que nous représentons dans nos structures respectives. Et il n’y a aucun hasard au fait que l’AMAP et NEGPOS se soient ainsi rapprochés afin de générer les dialogues successifs qui les font se côtoyer: le rapport des images à la ville est l’un des axes de réflexion partagés. Thami BENKIRANE en témoigne par un texte brillant où il pose clairement l’attirance et la difficulté du photographe à rendre compte de la ville. L’étude de l’être et l’attachement à l’humain en forment un autre.

A travers quatre expositions, dont 3 individuelles, qui présentent un panorama urbain éclectique de 3 grandes villes du Maroc : Tanger, Fès et Marrakech; et une collective, qui se donne pour objet la sensible préoccupation d’aborder la situation du corps et de l’être marocain, notre intention est de soulever un pan de voile afin de mieux connaître la photographie de ce pays.

Tanger est cette ville secrète et attirante que poétise le tangérois Rachid OUETASSI dans ses images en noir et blanc. Digne héritier de la grande photographie de reportage documentaire, OUETASSI photographie amoureusement sa ville dans ses replis les plus intimes. C’est à Marrakech que la place Jemaa El Fna devient, par le regard de Hassan NADIM la scène extraordinaire, d’un théâtre du quotidien. Lieu de brassage, antique forum, la place, espace aux limites définies s’il en est, se transforme en un dispositif délivrant une infinité imagée. D’un réel glissant vers des abimes fantasmagoriques, les photographies de NADIM fonctionnent comme d’intenses artefacts picturaux.

La Médina de Fès, à son tour saisie par l’œil aiguisé de Thami BENKIRANE, est cette espace ludique dont le photographe peut se jouer en toute liberté par la composition, de main de maître en l’occurrence, toute en subtilité et en graphique savamment élaborée.

Prenant pied dans la chair et dans l’être, l’exposition collective CORPS aborde différents états de notre inscription dans le monde. La figure du père lie Jaâfar AKIL dans le fil d’un dédoublement. L’absence et la mémoire du regretté se superposent dans un essai conceptuel à la fois tendre et solennel. Les corps tournoyants et chatoyants des musiciens et danseurs photographiés par Miloud STIRA et Mohammed MALI nous renvoient à l’état de transe provoqué par la percussion Gnaoua. La musique identitaire du Maroc fait l’objet par leur prisme dédoublé, d’une interprétation et d’une expérience visuelle hors du commun. Fatima MAZMOUZ est à la recherche d’une identité, hybride, oscillante. Deux séries d’une force jubilatoire qui interrogent la condition féminine, le rapport au corps, aux traditions et stéréotypes. Nour Eddine EL GHOUMARRI et Karima HAJJI, avec une infinie douceur, à partir de leur position respective, décrivent ce qui surgit de la rencontre avec l’autre. Poussés pas un évident et profond amour de l’humain, ils expriment le potentiel sensible qu’offre un visage photographié de manière directe. Leur photographie est sans apprêts, naturelle, à la façon de Richard AVEDON qui pense le portrait comme une traduction de la personnalité et de l’âme de son sujet : « J’ai posé une série de « non » : non aux jolies lumières, non aux compositions trop apparentes, non à la séduction des personnes ou à la narration. Une séance de pose est un échange d’émotions. L’image surgit de la rencontre de ces deux émotions. » (Richard AVEDON).

Electron libre et unique photographe représentant de NEGPOS dans cet absolu marocain, la série proposée par Claude CORBIER joue le contrepoint « satelittaire » des visions de l’« intérieur » des photographes marocains. On reconnaît les désormais éprouvées, fascinantes et radicales altérations du réel qui le caractérise, visions hallucinées porteuses d’un désir d’ailleurs, soutenues ici par un titre évoquant une destination inassouvie : « En attendant Tanger ».

Tanger, prémonitoire direction d’un prochain lieu d’accueil de nos vis-à-vis ultramarins ?

Pour conclure et pour les plus intéressés, des interventions théoriques de Kawtar ILLOUL et de Fatima MAZMOUZ, des rencontres avec tous les photographes exposants, viendront alimenter les débats qui suivront les différentes inaugurations.

Poursuivant sa mission d’intervention socioculturelle dans le cadre du Contrat Urbain de Cohésion Sociale, rejoignant la dynamique du Plan Espoir Banlieue, NEGPOS dotera cet évènement de visites accompagnées et de stages d’initiation à la photographie numérique destinés aux jeunes des quartiers de la ZUP Nord et du Mas de Mingue.

En attendant la prochaine étape de ce dialogue en images, NEGPOS est fier de vous proposer une programmation visant comme toujours l’excellence. Avec le plaisir de s’associer une nouvelle fois à l’AMAP pour partager et diffuser ce qui nous unit : la passion pour la photographie. NEGPOS remercie en cela les partenaires de l’opération : la Ville de Nîmes, le Conseil Général du Gard, le Conseil Régional Languedoc Roussillon, la DRAC Languedoc Roussillon, l’ACSE, la Société des Auteurs d’Images Fixes (SAIF), la Fnac de Nîmes, le Conseil Régional du Culte Musulman Languedoc Roussillon (CRCM LR) et le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger (CCME).

Loin d’une pensée stéréotypée qui voudrait contraindre les photographes du Maghreb à une utilisation limitée des images, loin des réflexes colonialistes, qui prennent de haut ce qui est simplement à côté, nous souhaitons acter ici, qu’il est temps d’établir de nouvelles centralités culturelles. (texte de présentation de Patrice LOUBON)