jeudi 27 décembre 2007

Vitesse de la Lumière

Vitesse de la lumière est un livre bicéphale : textes d'Andrée Chedid et peintures de Christian Broutin, éditions Le voir dit.


extrait de la préface: "Le titre de la collection avait été suggéré par le poète Jean Tardieu pour le film que lui avait consacré Arte en 1991, Jean Tardieu ou le Voir dit, révélant ses rapports secrets avec certains peintres contemporains, comme Jean Bazaine, Vieira Da Silva, Hans Hartung, Picasso ou Pierre Alechinsky… pour n’en citer que quelques-uns.
L’origine de ce titre vient de Guillaume de Machaut, poète et musicien du XVIe siècle, créateur de l’école polyphonique française, qui a écrit un poème d’amour de 9 000 vers : Le Voir dit. Or, à l’époque, le « voir » signifiait le « vrai » ; double raison pour nous de choisir ce titre à double sens. Il y aura donc, dans cette nouvelle collection, à voir et à dire vrai.
Vitesse de la lumière / Instantanés est le premier livre de cette nouvelle collection, Le Voir dit, dont le but est de mêler peinture et poésie contemporaines, réseau croisé des « phares » déjà allumés par Baudelaire avec Delacroix.

Reproduisant les peintures de Christian Broutin et les textes d’Andrée Chedid, ce premier ouvrage illustre bien la philosophie de cette nouvelle collection qui souhaite, dans chacun de ses livres, mettre en scène la rencontre d’un peintre et d’un écrivain contemporains ; le lecteur étant ainsi convié, devant le rideau de la scène, à « voir » une œuvre et, derrière le miroir, dans l’arrière pays, à « entendre » un texte qui se déploiera sous ses yeux comme une interprétation libre et subjective de la chose vue.
Par ailleurs, le livre exprime la quête commune des deux artistes ; Andrée Chedid et Christian Broutin parlent d’une même voix de tout ce qui nous touche – ici la mort d’une mère très aimée – et de tout ce qui nous dépasse. Poèmes et tableaux révèlent les liens tissés au cours d’une vraie rencontre – un des objectifs-clés de cette nouvelle collection – celle qui suscite le « déclic » de la création commune, transcendant une réalité douloureuse ou un bonheur partagé.
Andrée Chedid, avec le talent et la pudeur qui la caractérisent, a su réinventer le deuil d’une mère à travers les souvenirs de Christian Broutin. Ce dernier, grâce à des clichés photographiques, a pu, en passeur inspiré, peindre de grands tableaux en noir et blanc, qui rendent encore plus vives l’émotion et la nostalgie du paradis perdu de l’enfance.
Ce travail correspond en tout point à une déclaration de foi d’Andrée Chedid : « J’écris pour essayer de dire les choses vivantes qui bouillonnent au fond de chacun ; j’espère ainsi pouvoir communiquer (…) Je veux garder les yeux ouverts sur les souffrances et la cruauté du monde mais aussi sur sa lumière, sur sa beauté, sur tout ce qui nous aide (…) à mieux vivre, à parier sur l’avenir. »

Enfin, notons, qu’autour de ce livre d’art, se rejoue une autre rencontre réalisée vingt ans plus tôt, autour d’un autre ouvrage, Le Sixième jour. Françoise Dax-Boyer s’était vue confier par Andrée Chedid la rédaction de la préface de son roman (Flammarion – Castor Poche) et Christian Broutin l’illustration de la couverture – la felouque sur le Nil.
En 2006, c’est elle, devenue directrice de collection, qui demande à l’écrivain d’inaugurer, aux côtés de Christian Broutin, son Voir dit."

La Mère écrite

"On n’écrit que pour sa mère (…) L’écriture et la mère ont partie liée » affirme François Weyergans. Dans ce livre, l’écriture, la peinture, et la mère tissent des liens si mystérieux qu’on ne sait qui, de l’écrivain Andrée Chedid ou du peintre Christian Broutin, réinvente la mère.
Mise en scène subtile d’un moi-toi, toi-moi, eux-elles, nous-eux, elles-nous, où leurs structures mentales s’entrelacent pour donner à lire et à voir la déchirure du jour même de la naissance, la nostalgie du paradis perdu de l’enfance.
Entre eux, une alchimie intime, une co-naissance où l’art est salvateur. Elle ne résiste pas à son oeil rieur et quand l’œil viseur de Christian Broutin capte les événements clés de la Vie, donnant chair et sens à une mère trop tôt disparue – il avait à peine cinq ans –, elle lui dédie ces « Instantanés » de force, d’espoir et d’amour.
Par le travail du pinceau, véritable corps à corps avec la création, il provoque, en choisissant le noir et blanc, un choc émotionnel sans égal. La perspective des ombres et des lumières, l’étrange obscurité des jours, les pertes de perception et de vision allant jusqu’au mirage intérieur du cimetière, ouvrent sur des abîmes que seul le langage d’Andrée Chedid peut traduire. (…)
La vitesse de la lumière, surtout ne la dépassons pas ! Sachons rester dans les remous, les révoltes, les combats, les yeux grands ouverts sur la vie.
Méditation sur le temps qui passe et la mort, mystère de la peinture qui pense sans mots, mystère de l’écriture qui pense parfois sans images." (Françoise Dax-Boyer)

Le peintre : Christian Broutin

"Né le dimanche 5 mars 1933 dans la Cathédrale de Chartres, Christian Broutin a choisi, il y a plus de vingt ans, la vallée de la Seine pour y poursuivre son aventure picturale et graphique.
À cinq ans, après la mort de sa mère, guidé par son grand-père maternel bibliophile, il découvre le dessin en copiant Grandville et Gustave Doré. Le début d’une vocation : « J’ai dessiné depuis que je suis enfant. Je ne pensais pas en faire un métier tant c’était ma façon de respirer ». Il entre à l’École nationale supérieure des Métiers d’Art et sort premier de sa promotion. Il obtient en 1953 le professorat de la ville de Paris.
Touche à tout de génie, il travaille pour le cinéma, la publicité, l’édition, la photographie et ne cesse de poursuivre une oeuvre de peintre et d’illustrateur, de plus en plus reconnue.
Ses toiles sont exposées en France et à l’étranger, des États-Unis au Japon en passant par le Canada, l’Italie, le Danemark, la Grande-Bretagne et l’Espagne. Il obtient en 2003, le prix du Conseil Régional d’Ile de France pour une de ses peintures.
Il a réalisé une centaine d’affiches de films, notamment celles de Jules et Jim de François Truffaut, pour laquelle il obtient le prix Toulouse-Lautrec en 1962. En 1976, il crée, à partir de ses dessins, un court-métrage La Corrida qui lui vaut le prix Jean Vigo. En 1983, il reçoit le grand prix de l’Affiche française.
Parallèlement, il participe à de nombreuses campagnes de publicité pour les plus grands annonceurs.
Il illustre plusieurs dizaines de romans, ainsi qu’un grand nombre de couvertures d’ouvrages – parmi lesquelles Le Sixième jour d’Andrée Chedid – et des livres pour la jeunesse et la littérature fantastique.
Depuis 1996, il est créateur de timbres pour la Poste – dont la série « Jardins de France » – et reçoit, en 2003, le Grand Prix de l’Art Philatélique Français.
Passionné de sports, de gastronomie, d’oenologie, d’astronomie… et du Mont Saint-Michel, il puise une partie de son inspiration dans les voyages qui lui font parcourir la planète qu’il observe d’un œil toujours neuf."

Les huit toiles du présent recueil de grande taille, peintes à l’acrylique, lissées et sans empâtement, sont dédiées à sa mère, « images si réelles, si rêvées » du vert paradis de l’enfance qui ont tant touché Andrée Chedid.

L’écrivain : Andrée Chedid

"Née au Caire en 1920, Andrée Chedid habite Paris dès 1946, par choix, parce qu’elle aime cette ville depuis l’enfance.
Elle écrit depuis l’âge de dix-huit ans, : « Écrire, c’est très dur, c’est aussi de grandes fenêtres de joie… »
Mise en pension à l’âge de 10 ans, elle apprend l’anglais et le français mais exprime sa tendresse en arabe. Après un séjour en Europe, elle revient au Caire dans une université américaine.
Son rêve était d’être danseuse mais elle y renonce pour se marier à 22 ans avec un médecin dont elle a deux enfants, Michèle et Louis, et, à présent, des petits-enfants.
Pour avoir vécu et fait des études en Égypte et au Liban, elle connaît aussi intimement le Moyen-Orient que la France et l’Occident. Son œuvre entière porte les marques de ce multiculturalisme, riche de questionnements sur la condition humaine.
Aujourd’hui elle occupe une place de choix parmi les auteurs français contemporains. Romancière, nouvelliste, dramaturge et surtout poète : « Je reviens toujours à la poésie, comme si c’était une source essentielle », ses nombreux ouvrages en prose, notamment Le Sixième jour, porté à l’écran, ou en vers lui ont valu d’importants prix littéraires, comme le Goncourt de la nouvelle, le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres, le Prix Louise Labé, le Prix Mallarmé… pour ne citer que ceux-ci.
Andrée Chedid est une femme bien de notre temps ; ses écrits restent jeunes dans le plein sens du terme. « Avancer, reprendre joie, défier l’obstacle, peut-être le vaincre, puis aller de nouveau : tels sont nos possibles. » Ainsi s’exprime-t-elle dans une sorte d’art poétique qui est aussi art de vivre intitulé Terre et Poésie dans le recueil Visage Premier (1972). Toujours active aujourd’hui dans le monde des lettres, elle a publié un récit en hommage à sa mère Alice Godel, Les saisons de passage, et plus récemment des poèmes réunis sous le titre Rythmes aux éditions Gallimard."




mardi 11 décembre 2007

Photographie coloniale



Safia belmenouar et Marc Combier (2007), Bons baisers des colonies: images de la femme dans la carte postale coloniale, éditeur Alternatives, Paris, France.

La présentation de l'éditeur

La carte postale coloniale fait partie de notre histoire, de notre imaginaire : messagère d'amour ou d'amitié, de simples salutations envoyées par le voyageur, le militaire, le fonctionnaire ou l'explorateur vers la métropole, elle est aussi, par sa très large diffusion, un support idéologique privilégié.Les femmes y sont photographiées à travers une élaboration codée, une mise en image stéréotypée : voilées ou dévoilées au Maghreb, dénudées et sauvages en Afrique noire, pudiques et policées en Asie. Ordre et imaginaire les recréent ainsi de toutes pièces, les enfermant dans une représentation fantasmatique.Bons baisers des colonies offre un regard contemporain sur cette iconographie, sans méconnaître les contextes historiques qui en ont fait le produit d'une domination à la fois masculine et coloniale.Ces femmes, venant des quatre coins de l'Empire, ont en commun une seule constante : elles ne sont pas sujets de leur propre histoire. Pure construction idéologique, la carte postale coloniale élude la femme réelle, sa complexité, en un mot, son altérité.

Extrait : les premières lignes
«Dans un Maghreb totalement soumis et réduit au silence, photographes et cinéastes ont afflué pour nous prendre en image. (...) Surtout, derrière le voile de cette réalité exposée, se sont réveillées des voix anonymes, recueillies ou re-imaginées, l'âme d'un Maghreb unifié et de notre passéAssia DJEBAR, La Zerda ou les Chants de l'oubli.
MAURESQUES NUES SOUS LE VOILE
La Mauresque, figure d'un temps arrêté
Dans une chronique sur «l'Algérie vue de Paris», Théophile Gautier se plaît à évoquer l'engouement de ses contemporains pour un spectacle de cirque d'un genre nouveau, l'exhibition dansante «de races exotiques». En ce jour de septembre 1845, les «Moresques» sont au programme. Les belles offrent au public une danse à petits pas, le corps ondulant avec une grâce imperceptible, suivie d'une danse de conjuration des esprits, les chevelures agitées en cadence. Les danseuses sont sifflées et raillées : trop éloignées de leurs comparses de «La Révolte au Sérail» (de Filippo Taglioni, 1833), de ces «odalisques de carnaval», conclut le chroniqueur, c'est-à-dire «trop vraies». Et, un brin apitoyé, il fustige : «Pourquoi siffler de pauvres diables qui font naïvement ce qui se fait dans leur pays et vous représentent au naturel ce que vous admirez dans les tableaux de Decamps, d'Eugène Delacroix et de Marilhat ?» C'est que, en matière de divertissement, les goûts du public sont souverains : «De la gaze blanche à pois d'or et des caleçons couleur pêche, voilà comme le Parisien se figure l'Aimée», raille-t-il à son tour. La Mauresque rate sa première entrée sur la scène parisienne.
Mais elle revient en force, dupliquée à l'infini, sous forme de cartes postales, lors des premières décennies du XXe siècle. Qui est donc cette Moresque ou Mauresque ? Sont-elles les descendantes des royaumes numides et maures, nous projetant ainsi aux temps de l'Antiquité ? Ou encore les descendantes des Maures andalous qui, vaincus par les Rois Catholiques, s'enfuient du «Paradis de Grenade» et posent pied en terre africaine. Sont-elles les lointaines descendantes de ces augustes exilés, issues de la tribu du «Dernier des Abencerages» que ravive, à sa manière, chez François-René de Chateaubriand, la littérature romantique ?
William Shaler, témoin privilégié de la vie sous les deys, en tant que consul général des Etats-Unis à Alger, entreprend de présenter les peuples et les moeurs en vigueur dans ces royaumes d'avant la présence française. Dans son «Esquisse de l'Etat d'Alger», publié en 1826, il désigne sous le terme «Maures» du royaume d'Alger, un mélange d'Arabes des plaines, d'émigrés d'Espagne ayant contracté des alliances avec les Turcs et avec les Africains de l'inté­rieur. L'administration militaire française délaisse cette appellation pour ne plus distinguer qu'Arabes et Kabyles.En 1929, on retrouve, sous la plume d'un écrivain-voyageur, l'évocation de ces «braves petites Mauresques» qui s'engouffrent «voilées, sous les portes cochères des hautes demeures du quartier européen» où elles officient en tant que domestiques. L'auteur précise qu'elles «n'ont plus rien des fabuleuses odalisques des contes des "Mille et une nuits"». Souci de vérité ou nostalgie d'un monde auquel il faut bien renoncer lorsque l'on se préoccupe de rédiger un guide touristique à l'usage de ses contemporains ? De la «Moresque» de cirque aux «braves petites Mauresques» pittoresques, la femme «indigène» se perpétue, à travers les siècles, sous cette dénomination immuable et romantique.

lundi 10 décembre 2007

Contactez le père Noèl !




Au départ, sur une idée de William Klein, CONTACTS est cette collection de référence sur la photographie. Le coffret composé de 3 DVD permet de découvrir la démarche artistique des plus grands photographes contemporains sous un angle original : au fil d'un parcours en images (planches-contact, épreuves de travail, tirages ou diapositives) l'auteur commente en voix off son propre travail photographique pendant 13 minutes. Cette lecture commentée de la planche contact permet l'accès à l'avant et à l'après d'une photo choisie. Ce faisant, le spectateur pénètre dans l'univers secret du travail de création, au coeur du processus d'élaboration d'une oeuvre photographique.



Vol. 1 : LA GRANDE TRADITION DU PHOTO-REPORTAGE

William Klein, Henri Cartier-Bresson, Raymond Depardon, Josef Koudelka, Edouard Boubat, Elliott Erwitt, Marc Riboud, Helmut Newton, Don McCullin, Léonard Freed, Mario Giacomelli.

Vol. 2 : LE RENOUVEAU DE LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE

Sophie Calle, Nan Goldin, Duane Michals, Sarah Moon, Nobuyoshi Araki, Hiroshi Sugimoto, Andreas Gursky, Thomas Ruff, Jeff Wall, Lewis Baltz, Jean-Marc Bustamante.

Vol. 3 : LA PHOTOGRAPHIE CONCEPTUELLE

John Baldessari, Bernd et Hilla Becher, Chistian Boltanski, Alain Fleischer, John Hilliard, Roni Horn, Martin Parr, Georges Rousse, Thomas Struth, Wolfgang Tillmans.

dimanche 9 décembre 2007

Un livre, un film




Le photographe canadien Edward Burtynsky a effectué un long reportage en chine dans lequel il a cerné les méfaits néfastes et pernicieux de la pollution et de l’industrialisation à grande échelle sur les paysages naturels. En parallèle avec le livre "Burtynsky China", le film documentaire "Paysages manufactures" (sorti dans les salles françaises le 28 novembre 2007) constitue un cri d'alarme et une profonde réflexion sur l’industrialisation, l'altération des paysages naturels et la dégradation des conditions de vie de l'Homme.



Selon l'auteur : "La nature transformée par l’industrie est un thème prédominant dans mon travail. Ces images sont des métaphores du dilemme de notre existence moderne ; elles tentent d’établir un dialogue entre attraction et répulsion, séduction et crainte. Pour moi, ces images agissent comme des miroirs de notre époque".




Dans l'avis au lecteur qui figure sur le livre édité par Steidl, on peut lire la note suivante:
"Etre riche, c’est être glorieux !" C’est avec ces mots qu’en 1992, Deng Xiao Ping annonça à ses concitoyens et au reste du monde que la Chine était prête à embrasser le mode de vie occidental. En 1978, un programme national de relance économique fut lancé, accompagné dans un premier temps de vastes réformes agraires, puis renforcé au début des années 1980 par la création des Zones Économiques Spéciales (Z.E.S.). Ces réformes constitutionnelles longtemps attendues offrirent à la population chinoise une vision optimiste de l’avenir. Au regard de l’évolution des Z.E.S. dans le sud de la Chine, le président vieillissant fit cette déclaration, et par la même occasion, réactiva le processus de développement qui avait été fortement ralenti depuis Tiananmen. La possibilité pour les Chinois d’adopter un mode de vie contemporain eut un impact flagrant à la fois sur l’économie et l’écologie mondiales. Edward Burtynsky présente dans ce livre des photographies des vestiges et des zones récentes de l’industrialisation chinoise – ces lieux créés à la "gloire" de la richesse pour une civilisation puissante aspirant à aller de l’avant et à rejoindre les rangs des nations modernes. Grâce à son sens de la diplomatie, Edward Burtynsky a pu pénétrer dans ces sites difficiles d’accès, et en extraire des images à la fois saisissantes et inquiétantes. Ces photographies nous offrent le privilège d’entrevoir les effets de la transformation sociale et économique actuelle en Chine. Edward Burtynsky porte un regard attentif sur les expressions extrêmes de l’industrie chinoise. Parmi ses sujets, on trouve le barrage des Trois Gorges, le projet d’équipement le plus important à l’heure actuelle, et Bao Steel, le plus grand producteur d’acier de Chine. Il explore les derniers dinosaures d’anciens complexes industriels situés dans "la ceinture de la rouille", au nord-est, et les chantiers navals de Qiligang, le site de construction navale le plus dense du pays. Son appareil photo pénètre dans des villages entiers dédiés uniquement au recyclage des déchets électroniques, des plastiques et des métaux, dont le tri soigné est fait manuellement. Il nous emmène dans des ateliers aux perspectives infinies tels que celui de Cankun, le plus grand producteur de fer mondial (23 000 employés) ; Yu Yuan, un fabriquant de chaussures de sport (90 000 employés) ; et Deda, le principal industriel avicole de Chine. Enfin, Edward Burtynsky fixe son attention sur le paysage des sites, et s’attache également à la grandeur et à la modernité de la Chine à travers l’effervescence de centres comme Shanghai, où d’innombrables gratte-ciel remplacent à un rythme rapide d’élégantes constructions plus anciennes qui ont autrefois accueilli le flot incessant de nouveaux citadins emplis d’espoir. Adolescent, Edward Burtynsky a travaillé dans d’immenses usines d’assemblage automobile, ainsi que dans les mines d’or du nord de l’Ontario. En tant qu’artiste, il s’est nourri de ces expériences et de l’apprentissage de son métier de photographe. Il applique ses connaissances des grands espaces industriels à son expérience sur le terrain, créant des images dont l’expression finale se traduit par les somptueuses épreuves en couleur, à grande échelle, qui sont sa marque de fabrique. Depuis 1978, les sujets choisis par Edward Burtynsky varient entre mines, carrières, usines de recyclage, gisements pétroliers, raffineries et chantiers navals. Ses oeuvres détaillées et précises apportent un témoignage sur la relation évolutive de l’homme par rapport à la nature à travers les paysages industriels qu’il a construits. Sans célébrer ni condamner l’industrie, les photographies d’Edward Burtynsky sont des passerelles entre la vie que nous menons et les espaces que nous créons pour la mener. Ces trois dernières années, Edward Burtynsky a concentré son travail sur des sujets analogues ; cette fois, nous découvrons une standardisation consciencieuse. Toutes les industries qu’il a choisies sont situées dans l’immense coeur manufacturier de la Chine. Il nous livre une vue d’ensemble d’une société qui s’évertue à offrir une "vie meilleure" à ses citoyens.


La bande-annonce de ce film documentaire engagé peut-être visualisée sur la vidéo qui suit :


Vous pouvez également découvrir le travail de ce photographe canadien en cliquant ici

jeudi 6 décembre 2007

Le regard culotté



Quatrième de couverture
Cet essai n'est ni une histoire ni une théorie de la photographie. C'est une tentative de formuler ce qui a paru essentiel dans l'expérience photographique. Le point de départ n'est donc pas une théorie ou une croyance a priori. C'est au contraire une longue fréquentation des photographes et de leurs oeuvres qui a conduit à cet examen des processus et des valeurs en jeu dans le regard photographique - une sorte d'inventaire critique. Que se passe-t-il dans le regard, dans la pensée, quand nous voyons des photographies ? Que s'est-il passé quand un photographe a regardé et laissé la trace de son regard sur un objet du monde ? Qu'est-ce qui est pensé ainsi et qui ne saurait être pensé autrement ?

L'auteur vu par l'éditeur
Universitaire, critique d'art, directeur du Centre national de la photographie, Régis Durand est l'auteur de nombreux ouvrages sur la photographie. Aux Éditions de La Différence, il a publié : La Part de l'ombre - Essais sur l'expérience photographique, Disparités - Essais sur l'expérience photographique 2 et Le Temps de l'image Essai sur les conditions d'une histoire des formes photographiques.
Extrait (pages 167-71):
Je dirai tout d'abord que l'art photographique d'aujourd'hui (celui qui utilise le support photographique pour des recherches plastiques diverses) m'apparaît comme un art maniériste par excellence -si on entend par là (sans aucune acception péjorative, il faut y insister) le goût de l'ambivalence et du métissage, la recherche de l'hybride et du contradictoire par le rapprochement de registres, de matériaux et de niveaux différents; le goût aussi de la citation, de la fabrication du nouveau à partir de données antérieures, l'emprunt aux cultures populaires et savantes, etc. Le maniérisme est constamment rapproché ou distingué du baroque, c'est l'objet de débats incessants. Disons, pour faire vite, qu'il semble beaucoup moins lié à certaines périodes historiques, que c'est une notion plus facilement trans-historique (même s'il existe dans la peinture une grande période maniériste, et même si le baroque a lui aussi ce caractère trans-historique).
Le maniérisme est plus un art d'attitude (et on sait ce que l'art d'aujourd'hui doit justement à la définition et à la projection d'attitudes, à la volonté de construire des images et des fictions de soi-même en tant qu'artiste).
(...)les artistes qui peuvent être dit maniéristes : Bertrand Lavier, par son détournement des objets usuels et des opérations de la sculpture, par le jeu des doubles et du recouvrement; Georges Rousse, par son travail sur l'anamorphose de l'espace, ses constructions entre réel et virtuel, entre peinture, photographie et architecture. Car pour qu'il y ait oeuvre maniériste, le détournement ou la juxtaposition ne suffisent pas. Il faut qu'il y ait une volonté très concertée de construction composite, hybride.
(...)De telles opérations, dont on trouverait d'autres exemples dans la création contemporaine, supposent une longue réflexion sur l'histoire et les caractéristiques des pratiques ainsi confrontées. Et cette réflexion (qui s'accompagne d'une réflexivité, c'est-à-dire d'une inscription de son propre cheminement) est peut-être la marque principale de l'art d'aujourd'hui; art hyper-critique et spéculatif, conceptuel encore quand il met l'accent sur les processus, "baroque" quand il parvient à fondre ses diverses composantes dans un ordre et une "croyance" personnels, "maniériste" lorsqu'il joue de ses contradictions, de son caractère hybride et épigonique... Dans tout cela, par ses ressources aussi bien documentaires que plastiques, par sa ductilité extrême et son pouvoir fictionnel, la photographie a un rôle essentiel à jouer -lorsqu'elle ne se replie pas sur des débats et des stratégies d'un autre temps.

jeudi 29 novembre 2007

L'Histoire par l'image




Résumé du livre d'Eric Godeau " Ces images qui nous racontent le monde", Albin Michel :
300 photographies de l'agence magnum nous racontent le monde depuis 1948.Comment comprendre le monde d'aujourd'hui sans connaître son histoire récente ? Comment transmettre aux jeunes générations l'esprit des décennies écoulées depuis la Seconde Guerre mondiale, l'enchaînement des conflits, les révolutions technologiques, l'évolution des mentalités? Pour raconter cette histoire, Magnum, la prestigieuse agence internationale de photoreportage, nous a ouvert ses archives.Chaque image sélectionnée, replacée dans son contexte, parfois commentée par le photographe lui-même, devient un lieu d'échange, une incitation à la réflexion, l'occasion de clarifier un monde où se croisent trois générations. Ce livre de référence est tout à la fois un outil de connaissance, un creuset de souvenirs et un grand livre de photographies.

Présentation :
En tout, ce sont près de 300 images de l’agence Magnum, choisies avec justesse et pertinence, qui permettent d’appréhender le monde depuis 1948 à travers la photographie. Et c’est là justement tout l’enjeu de l’ouvrage, dans lequel le texte se met au service de la photographie, et non le contraire. Ici, c’est l’image qui permet d’accéder à l’information. Chaque cliché est expliqué, placé dans son contexte, parfois même commenté par son auteur. L’analyse se prolonge par des slogans de l’époque et des citations clés. Saluons également le travail iconographique, d’excellente qualité (Magnum oblige).
Divisé en six chapitres (un par décennie), des années 50 à 2000, le livre se veut être un véritable outil pédagogique : repères temporels, notices biographiques sur les photographes, index des photographes, index général thématique. C’est en effet une manière divertissante, pour tous, de comprendre le monde d’aujourd’hui à travers son histoire. Bref, un ouvrage à la fois pratique et instructif, un merveilleux cadeau de Noël…Céline Chevallie : En tout, ce sont près de 300 images de l’agence Magnum, choisies avec justesse et pertinence, qui permettent d’appréhender le monde depuis 1948 à travers la photographie. Et c’est là justement tout l’enjeu de l’ouvrage, dans lequel le texte se met au service de la photographie, et non le contraire. Ici, c’est l’image qui permet d’accéder à l’information. Chaque cliché est expliqué, placé dans son contexte, parfois même commenté par son auteur. L’analyse se prolonge par des slogans de l’époque et des citations clés. Saluons également le travail iconographique, d’excellente qualité (Magnum oblige).Divisé en six chapitres (un par décennie), des années 50 à 2000, le livre se veut être un véritable outil pédagogique : repères temporels, notices biographiques sur les photographes, index des photographes, index général thématique. C’est en effet une manière divertissante, pour tous, de comprendre le monde d’aujourd’hui à travers son histoire. Bref, un ouvrage à la fois pratique et instructif...(Céline Chevallie)
Par ailleurs, vous pouvez accéder ici au blog de l'agence Magnum.

vendredi 23 novembre 2007

L'art de la photographie

Présentation : Treize ans après la dernière histoire générale de la photographie publiée en France, les éditions Citadelles & Mazenod annoncent la parution d'une nouvelle somme, qui fait entrer le médium dans la célèbre collection "L’Art et les grandes civilisations". Grâce à la collaboration des meilleurs représentants de la jeune génération d'historiens de l'art et de la culture, cet ouvrage se donne pour objectif de restituer les plus récentes orientations de la recherche dans une synthèse accessible à tous, accompagnée pour la première fois d'une illustration entièrement en quadrichromie.
L'originalité de ce volume est triple. Plutôt que de prétendre à une histoire exhaustive de toutes les manifestations de la pratique photographique, il recadre la préoccupation historique autour du dialogue entretenu depuis ses origines par l'enregistrement mécanique avec les domaines de l'art et de la culture. Ce faisant, il présente la première histoire critique de la tradition photographique, dont il révèle les articulations et les contradictions. Mais sa principale caractéristique est la proposition d'un nouveau récit, construit, charpenté, lisible. Une histoire à lire, une histoire qui explique et éclaire une trame dense de près de deux siècles, d'une rare complexité : voici ce qu'offre un ensemble cohérent de textes, voués à dégager l'économie des mécanismes généraux, dont plusieurs sont décrits pour la première fois. La synthèse que nous proposons est, comme de coutume, un état provisoire d'un savoir en marche. Elle se veut conforme à la mission de l'histoire, qui est d'apporter du sens, non d'augmenter la confusion.
Images inédites ou icônes fameuses, documents étonnants ou œuvres d’art célèbres, l'ouvrage présente en dix chapitres et près de 600 illustrations un parcours à la fois savant et séduisant. Un nouveau récit des origines dévoile le rôle du monde de l'art dans la première réception du médium, mais aussi la vitalité apportée par le commerce ou l'importance du dialogue franco-américain. Plutôt qu'une histoire articulée par le tête-à-tête du photographe et sa machine, le volume souligne en permanence l'apport essentiel des institutions: sociétés, publications, expositions ou musées. Pour les amateurs victoriens comme pour les directeurs de journaux, pour les scientifiques comme pour les artistes, l'image construite s'avère un ressort majeur du dynamisme du médium, non moins puissant que sa fonction classique de traduction fidèle du visible. Parmi les apports inédits de l'ouvrage, signalons encore une nouvelle synthèse du rôle de la photographie dans les sciences, la première histoire graphique de la presse illustrée, ou une analyse contextualisée du rôle du MoMA. Au total, l'image qui se dégage est bien une image nouvelle: non plus celle d'une photographie servante des arts et des sciences, mais celle d'un médium acteur de l'art, de la culture et du savoir, opérateur de quelques-unes des évolutions décisives du monde moderne.
L’Art de la photographie, des origines à nos jours.
Sous la direction d'André Gunthert et Michel Poivert
Citadelles & Mazenod, coll. L'art et les grandes civilisations. 620 pages, 25,5 x 32 cm, 566 illustrations.
Sommaire : Introduction, par André Gunthert et Michel Poivert
1.
La génération du daguerréotype- La rencontre de la machine et de l’homme (1839-1851), par Paul-Louis Roubert.- Le daguerréotype aux Etats-Unis : un art social (1839-1861), par François Brunet.
2.
L’institution d’une culture photographique- Une aristocratie de la photographie (1847-1861), par André Gunthert.
3.
Aux limites du savoir- La photographie et les sciences de l’observation (1845-1900), par Marta Braun.
4.
La volonté d’art- De la photographie victorienne au mouvement pictorialiste (1857-1917), par Michel Poivert.
5.
Le jeu des amateurs- L’expert et l'usager (1880-1910), par Clément Chéroux.
6.
Les formes de l’information- De la presse illustrée aux médias modernes (1843-2004), par Thierry Gervais et Gaëlle Morel.
7.
L’esthétique du document- Le réel sous toutes ses formes (1890-2000), par Olivier Lugon.
8.
La création expérimentale- La recherche de nouveaux langages visuels (1917-1980), par Nathalie Boulouch.
9.
La nostalgie du moderne- Le MoMA : institution de la photographie moderniste (1937-2000), par Kevin Moore.
10.
Un art automatique ?- La photographie au cœur des stratégies de l’avant-garde (1915-1975), par Michel Poivert.
Vous avez la possibilité de visualiser plein écran une conférence (en 3 volets) en vidéo donnée au sujet de ce livre. C'est tout simplement ici

dimanche 18 novembre 2007

Colloque : Temps et photographie



Time and Photography / Temps et photographie
Appel à contribution
Date limite : 31 décembre 2007

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Étude interdisciplinaire du médium photographique dans la culture de l’époque contemporaine, insistant sur la réévaluation théorique des notions majeures de temps, d’histoire et de mémoire.
Plus concrètement, le colloque rassemble des chercheurs de différents domaines qui vont proposer leur réponse aux questions suivantes :
- Quels sont les avantages et inconvénients des principaux modèles théoriques permettant l’examen de la notion fluctuante du “temps” en général et de la « contemporanéité » en particulier en photographie?

- Et quels sont les caractéristiques et dimensions d’une taxinomie globale de la description du temps en photographie ?

- Quelles sont les dimensions temporelles de la notion fondamentale d’« index », qui a été jusqu’à présent interprétée presque exclusivement dans un sens spatial?

- Quelles dimensions temporelles de l’image photographique et des pratiques photographiques sont spécifiques au champ, et comment est-il possible de transférer la notion de temps photographique dans les domaines conjoints de la production mécanique, de la reproduction et de la distribution d’images?

- Comment peut-on lutter contre l’idée largement répandue de l’image photographique comme figée, par comparaison à l’image mobile du film?

- Comment peut-on lutter contre l’idée largement répandue du digital comme environnement sans mémoire, et comment l’idée du temps photographique aide-t-elle à interroger de façon nouvelle la notion de temps archival ?

- Quelles sont les conséquences d’un accent majeur placé sur le temps pour une définition globale du champ des études photographiques, c’est-à-dire dans quelle mesure les notions doubles de temps en photographie et de photographie dans le temps élargissent-elles et redéfinissent-elles notre vision globale de la photographie ?


Une proposition de 15 lignes est à envoyer avant le 31 décembre à Jan Baetens.
Le colloque se déroulera du 13 au 15 mars 2008. (langues du colloque: anglais et français).


Scope and content of the conference
This conference is a key moment in the new international cross disciplinary interest in photography in its relationships with time. Until recently, the various approaches of photography and time were elaborated in relative isolation. Among these approaches were: the narratological, poetological and art-theoretical approaches, which study the representation of time in the fixed image and its multiple decodings by an active reader; the historical approach, which considers the photograph a form of historical evidence; and the anthropological approach, which examines the photograph the transformations of the image as a material object through time. The members of the organizing committee, the keynote speakers, and the various contributors, have all published widely not just within one or more of these perspectives, but have encountered within their own research the necessity to theorize the interdisciplinary dimensions of the ongoing work as well as to implement them in new joint research projects, which will be debated during the conference.
The conference tackles the major challenges that have emerged in recent theoretical research in the field of time and photography. Its basic methodological and theoretical framework is interdisciplinary, with a strong focus on philosophically informed art historical interpretations and culturally inspired formal analysis of the photographic image as well as of photography as a social practice. The conference concentrates on the necessity of recovering the balance between the spatial and the temporal, the formally descriptive and the historically interpretive approaches of photography in photography which is no longer restricted to the mere field of artistic photography, but includes a.o. the documentary and the scientific use of the medium.


Responsable :
Université de Leuven
Url de référence :
http://www.lievengevaertcentre.be/
Adresse : Faculté des Lettres 21, Blijde Inkomst B-3000 Leuven

Au nom du postmoderne

Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, F. Jameson, 2007. ENSBA éditeur, coll. "D'art en questions". Traduit de l'américain par Florence Nevoltry.


Présentation de l'éditeur:
Ce texte capital du célèbre théoricien américain Fredric Jameson, professeur émérite de littérature comparée à Duke University, où il dirige le Centre de Théorie Critique, est pour la première fois traduit en français.Jameson y décrit le postmodernisme comme un ensemble de phénomènes qui succèdent au modernisme, et qu'il analyse comme une étape du capitalisme tardif, «la logique culturelle» de ce dernier.Au delà des enjeux économiques et de tout ce qu'englobe sa vision du postmodernisme, il se penche tout particulièrement sur l'art, l'architecture, la littérature, le cinéma et la vidéo. Ce livre démontre supérieurement l'acuité et la pénétration de ses analyses, son immense culture littéraire et philosophique, son aisance théorique sans égal. Il témoigne aussi de la vision résolument cosmopolite d'un grand penseur dans la tradition de Hegel et de Marx.

Pour lire un compte rendu de cet ouvrage paru dans le quotidien Libération, cliquez ICI
L'incipit du livre:
"Le plus sûr est d'appréhender le concept du postmoderne comme une tentative de penser le présent historiquement à une époque qui, avant tout, a oublié comment penser historiquement. Dans ce cas, soit le postmoderne «exprime» un élan historique profond et irrépressible (sous quelque forme biaisée que ce soit), soit il le «réprime» et le dévie efficacement, selon le côté de l'ambiguïté qui a votre faveur. Le postmodernisme, la conscience postmoderne, pourrait bien alors n'être rien d'autre qu'une théorisation de sa propre condition de possibilité, ce qui se résume, au fond, à une simple énumération de changements et de modifications. Le modernisme, lui aussi, réfléchissait compulsivement sur le Nouveau et cherchait à en observer l'apparition (inventant dans ce but des moyens d'enregistrement et de notation analogues à la chronophotographie historique), mais le postmoderne aspire, pour sa part, aux ruptures, aux événements plus qu'aux nouveaux mondes, à l'instant révélateur après lequel il n'est plus le même; au «moment où tout a changé», comme le dit Gibson ', ou, mieux encore, aux modifications et aux changements irrévocables dans la représentation des choses et dans leur manière de changer. Les modernes s'intéressaient à ce qui pouvait résulter de ces changements et à leur tendance générale : ils réfléchissaient à la chose elle-même, substantivement, de manière utopique ou essentielle. Le postmodernisme est plus formel en ce sens, et plus «distrait» comme aurait pu le dire Benjamin; il ne fait que mesurer les variations et ne sait que trop bien que les contenus ne sont que des images de plus. Dans le modernisme, comme je vais tenter de le montrer plus loin, subsistent encore quelques zones résiduelles de «nature» ou d'«être», du vieux, du plus ancien, de l'archaïque; la culture parvient encore à exercer un effet sur cette nature et oeuvre à transformer ce «réfèrent». Le postmodernisme est donc ce que vous obtenez quand le processus de modernisation est achevé et que la nature s'en est allée pour de bon. C'est un monde plus pleinement humain que l'ancien, mais un monde dans lequel la «culture» est devenue une véritable «seconde nature». En effet, un des indices les plus importants pour suivre la piste du postmoderne pourrait bien être le sort de la culture : une immense dilatation de sa sphère (la sphère des marchandises), une acculturation du Réel immense et historiquement originale, un grand saut dans ce que Benjamin appelait «l'esthétisation» de la réalité (il pensait que cela voulait dire le fascisme, mais nous savons bien qu'il ne s'agit que de plaisir : une prodigieuse exultation face à ce nouvel ordre des choses, une fièvre de la marchandise, la tendance pour nos «représentations» des choses à exciter un enthousiasme et un changement d'humeur que les choses elles-mêmes n'inspirent pas nécessairement). Ainsi, dans la culture postmoderne, la «culture» est devenue un produit à part entière; le marché est devenu absolument autant un substitut de lui-même et une marchandise que n'importe lequel des articles qu'il inclut en lui-même : le modernisme constituait encore, au minimum et tendanciellement, une critique de la marchandise et une tentative pour qu'elle se transcende. Le postmodernisme est la consommation de la pure marchandisation comme processus. Par conséquent, le «style de vie» propre au super-État a le même rapport avec le fétichisme de la marchandise de Marx que les monothéismes les plus avancés avec les animismes primitifs ou le culte des idoles le plus rudimentaire; toute théorie élaborée du postmoderne devrait donc entretenir avec l'ancien concept d'«Industrie de la culture» de Horkheimer et Adorno un rapport un peu du même type que celui de MTV et les publicités fractales avec les séries télévisées des années cinquante.Entre temps, la «théorie» a changé et offre un indice de son cru sur ce mystère. En effet, la façon dont toutes sortes d'analyses tendancielles de types jusqu'alors très différents - prévisions économiques, études de marché, critiques culturelles, nouvelles thérapies, lamentations (en général officielles) sur la drogue ou la permissivité, critiques de manifestations artistiques ou de festivals de films nationaux, cultes ou «renouveaux» religieux -se sont fondues en son sein pour former un nouveau genre de discours, que nous pourrions tout aussi bien appeler la «théorie du postmodernisme», est l'une des caractéristiques les plus frappantes du postmoderne et requiert une attention particulière. Il s'agit clairement d'une classe qui fait partie de sa propre classe, et je ne voudrais pas avoir à décider si les chapitres qui suivent constituent une étude sur la nature de cette «théorie postmoderne» ou n'en sont qu'une simple illustration." .

L'extrême contemporain


Présentation: Si "La Photographie plasticienne: Un art paradoxal" (publié en 1998) se proposait d’examiner les conditions de possibilité de « l’entrée en art » de la photographie, autour des années soixante-dix, et constituait le medium photographique comme l’un des plus puissants opérateurs de déconstruction du modernisme, "Photographie Plasticienne : l’extrême contemporain" (publié en 2004 aux éditions du Regard) se donne pour enjeu l’examen attentif des différents pôles photographiques, souvent contradictoires, de ce qui serait « l’après post-modernisme », emblématisé par les années quatre-vingt-dix : les tropes du banal et de l’intime, la photographie érudite ; l’esthétique de l’idiotie, le sérieux de l’objectivisme issu de l’école de Düsseldorf ; les fictions prométhéennes du post-humain, le renouveau de plus en plus affirmé d’une photographie documentaire qui ne doit plus rien à un photojournalisme frappé d’obsolescence, mais peut a contrario se comprendre en écho aux stratégies iconiques du « retrait ». Dans un champ photographique éclaté, qu’il serait illusoire de vouloir unifier au détriment des différences et des fractures, l’auteure a conjointement mis en exergue les questionnements propres à l’extrême contemporain : soit l’impossibilité du paysage et la crise de l’urbanité, l’émergence de «non-lieux» et la tentative pour inventer des lieux où vivre, d’une part ; l’inquiétude du sujet vis-à-vis de lui-même, d’autre part, comme si le portrait, loin d’être une évidence, achoppait sur une identité toujours plus précaire, qui fut déjà soumise à l’implacable déconstruction structuraliste du sujet. Au terme du parcours, c’est à une lecture subjective - et revendiquée comme telle - des œuvres que le lecteur sera convié : constituer l’admiration comme passion joyeuse, active, nietzschéenne enfin. (Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du regard) .
L’auteur Dominique Baqué, ancienne élève de l’Ens, agrégée de philosophie et maître de conférence à l’université Paris VIII, est l’auteur de nombreux textes portant sur la question de l’image en général, et de la photographie en particulier. Écrivain, elle a notamment publié un essai sur Maurice Tabard (Belfond, 1991), Les Documents de la modernité (Jacqueline Chambon, 1993), La Photographie plasticienne : un art paradoxal et Mauvais Genre(s) (Éditions du Regard, 1998 et 2002). Elle signe également la chronique "Photographie" de la revue Art Press.

Sommaire:
Avant-propos
Le trope du banal
Trash, dérision et idiotie : infléchissement de l’esthétique du banal
Paradoxes et apories de l’intime
À rebours : scénographies de la culture
De l’impossible paysage aux non-lieux de l’extrême contemporain
Identifications d’une ville
Pour un lieu où vivre ?
Le sujet inquiet de lui-même
Fictions prométhéennes du post-human
Stratégies du retrait, renouveau du documentaire
En guise d’épilogue : admirations

vendredi 16 novembre 2007

Purpose Webmag N°6

Il est entendu que la photographie entretient des rapports étroits avec la mémoire. On a tant écrit sur les notions de trace, d'empreinte, d'index… À juste titre, le pouvoir documentaire de l'image photographique a été mis en évidence. On a peut-être moins insisté sur le fait que la mémoire opère un travail, longtemps après la production des images et leur diffusion. Loin d'être figée, elle participe aux mouvements de l'histoire, personnelle ou collective, que nous portons comme un emblème et un fardeau, et qui est la part fondamentale de notre identité.
L'imagerie mentale qui nous accompagne dresse la carte mouvante de nos fantasmes, de notre culture, et s'enrichit sans cesse de nos rencontres. Nous collectons et archivons les images qui se redistribuent en réseau. Des connections s'établissent, font sens : les idées prennent vie.
Intimité du souvenir, Histoire, collection aide-mémoire, documents d'artistes, mémoire du corps, archéologie, action du temps, immuabilité… Autant d'aspects évoqués par les auteurs présentés dans ce sixième numéro de purpose. Que ces artistes soient vivants ou morts, leurs images se rencontrent et nous invitent à parcourir les méandres de la mémoire.

Ce numéro 6 du web magazine Purpose nous propose les dossiers photos suivants:
Brigitte Lustenberger What You See

Carlo Mollino Villa Zaira
Fulvio Rosso La pelle dell'anima
Yves Klein Obsession de la lévitation
Angelo Mosca Parigi val bene una messa
Françoise Huguier J'avais huit ans
Marc Garanger Identification d'une guerre
Hervé Jézéquel De mémoire de pierre
Unité INSERM U913 Imagerie du Système Neuronal Entérique
Musique de / music by Éric Cordier

Je vous invite donc à feuilleter et à déambuler entre les albums de ces dossiers photographiques en cliquant ici

Pour les plus curieux, cliquez sur archives pour accéder et visualiser les numéros précédents.

mercredi 14 novembre 2007

Le diaphragme


L’appareil photographique doit beaucoup de sa séduction au diaphragme à iris qui ajoute au trou rond de l’objectif un organe délicat, subtil et d’une vivante ingéniosité. C’est une corolle de lames métalliques qu’on peut éloigner ou rapprocher de son centre, augmentant ou diminuant ainsi l’ouverture utile de l’objectif. Il y a de la rose dans ce dispositif, une rose qu’on peut à volonté fermer ou épanouir.Ce n’est pas tout. A cette troublante anatomie, le diaphragme ajoute une physiologie d’une très vaste magique portée. Car tous les photographes savent qu’en fermant le diaphragme on diminue l’entrée de la lumière dans la chambre noire, mais qu’on augmente en revanche la profondeur de champ. Inversement, en augmentant son diamètre, on perd en profondeur de champ ce qu’on gagne en clarté. Rien de plus universel en vérité que ce dilemme qui oppose profondeur et clarté, et on oblige à sacrifier l’une pour posséder l’autre. On appartient à l’un ou à l’autre de deux types d’esprits opposés selon que l’on choisit la clarté superficielle ou la profondeur obscure. « Le défaut majeur des français, disait mon maître Eric Weil, c’est la fausse clarté ; celui des allemands, c’est la fausse profondeur ». C’est naturellement dans le portrait que l’option devient la plus urgente. En diaphragmant plus ou moins, on donne plus ou moins d’importance aux plans éloignés qui se trouvent derrière le sujet, et tout ce qui est accordé d’attention à ces arrière-plans est refusé au sujet portraituré. Si la Joconde avait été photographié par Leonard de Vinci, il aurait à coup sûr fermé au maximum - un trou d’aiguille - puisque derrière ce visage au sourire célèbre, on distingue parfaitement un lointain paysage avec ses rocailles, ses arbres et ses lacs. Encore faut-il que ce "fond" - qu’il soit rural ou urbain, intime ou architectural - ait une existence propre et ne se réduise pas à quelques attributs attachés symboliquement à une figure humaine centrale, comme par exemple les arbres du Paradis flanquant le couple Adam et Eve, ou le château dont la silhouette crénelé se découpe derrière le portrait d’un seigneur. Il faut au contraire qu’il ait une présence autonome assez forte pour concurrencer celle du ou des personnages menacés à la limite d’être « avalés » par la paysage où ils ne joueront plus que le rôle modeste d’éléments humains à côté de la faune et de la flore. Dès lors, la présence ou l’absence d’un décor d’arrière-plan prend une signification de vaste portée dont on retrouve l’équivalent en littérature, voire dans les sciences humaines. Car il n’est pas indifférent dans un roman que le héros soit décrit lui-même, abstraction faite de ses origines ou de son milieu, sur fond indifférencié - à diaphragme ouvert - ou au contraire à diaphragme fermé, replacé dans un ensemble socio-historique dont il est solidaire et où il puise sa signification. Si l’on parcourt les grands romanciers français du XIXème siècle - Stendahl, Balzac, Flaubert, Hugo, Maupassant, Zola - on constate que l’ouverture du diaphragme varie de l’un à l’autre et qu’elle a très grossièrement tendance à diminuer. Le personnage présenté par Stendhal sans son milieu ou en contradiction avec ses origines - Julien Sorel - s’y intègre au contraire profondément avec Zola pour n’être plus qu’une des données du milieu social, lequel constitue le véritable sujet de l’étude romanesque. Stendhal : f4 ; Zola : f16.


Michel Tournier, Petites proses, Gallimard, Folio n° 1768, pages 140-142.


Pour voir à quoi ressemble un diaphragme, cliquez ici

mardi 13 novembre 2007

Lettres et photos d'Egypte



Présentation de la quatrième de couverture :

« Plus d'un siècle après le voyage en Egypte de Gustave Flaubert et de Maxime Du Camp, deux amis, l'un écrivain, l'autre photographe, remontent le Nil, du Caire à Assouan, avec le projet d'écrire un livre qui mêlera textes et photographies. Naturellement, le projet évolue durant le voyage. Et il n'est publié que bien longtemps après... Peut-être plus qu'à une ‘visite’ de l'Egypte, c'est au sens du voyage aujourd'hui que nous convoque le dialogue entre les photographies intimistes du regardeur et les lettres que l'écrivain rédigea (sans les leur expédier...) pour ses amis restés en France. Les correspondants deviennent des acteurs d'un périple qui ignore les tour operators et les circuits obligés pour révéler, entre plaisir et exaspération, un mode singulier de la découverte. La succession des lettres, qui respecte leur chronologie, organise une progression dramatique et sensible du récit pendant que les photographies, en contrepoint, choisissent l'Egypte comme cadre pour un portrait amical d'Hervé Guibert. »

Extrait :« Assouan, le 26 mars 19..A qui ? Il y a dans l’oasis des solitudes pleines de félicité : un enfant au milieu des palmes, un trait blanc vivant dans ces fameux verts, il vient de se laver, il fera galoper son âne, pour l’instant seul un oiseau blanc lui rend visite. Il achève son travail : il attrape à bras-le-corps un morceau d’oasis, il l’arrache, il le charge sur son âne et il le traîne dans le désert, sans autre raison que de le raviver. Qui donc j’embrasse si ce n’est lui ? »

Hervé Guibert, Hans Georg Berger, Lettres d’Égypte : du Caire à Assouan, 19.., Arles, Actes Sud, 1995, p.65.

Pour plus d'informations sur l'oeuvre hybride (textes et photographies) d'Hervé Guibert, allez voir par ici

mercredi 7 novembre 2007

Approche d'un tableau


Une rétrospective Gustave Courbet (1819-1877) se tient actuellement jusqu'au 28 janvier au Grand Palais. Courbet, chef de file de l'école réaliste , nous offre un travail bien enraciné dans son terroir et bien nourri de son engagement politique.
Son tableau de 1854 " Les cribleuses de blé " est représentatif de ce volet important de sa peinture. Une analyse en fonction du contexte historique est disponible ici

lundi 5 novembre 2007

L'ultime image



Présentation du dernier roman de Laurent Graff : Cela sonne comme un arrêt : la dernière photo. Comme il y a le dernier verre, le dernier jeton ou l’ultime message. Graff invente la forme neuve de la roulette russe : l’objectif à l’œil, comme le canon tout contre la tempe. On presse : y a-t-il une vie, passé le couperet de l’ultime clic ? Jeu, set et match ? Neigel, le héros, se cogne à tous les angles d’un deuil amer, celui de M. Un jour à Rome, Méphisto, entendez un sieur Giancarlo Romani (un homme que l’humain intéresse, ex-prêtre) lui offre un voyage et un appareil photographique. Règle du jeu : clore la bobine en prenant « la dernière photo ». Il n’est pas seul à jouer : d’autres sont là, comme lui, avec leur dernière case à cocher : un Japonais, maître-pêcheur de carpe, un ex-mannequin et Eros (de Bilbao). Alors, que prendre dans les rets du viseur ? Une photo qui tout résumera, apocalypse intime, une photo pour rien, une photo de rien, un souvenir à loger au coin d’un miroir, un fragment d’idéal. Geste dérisoire, simple pression, mais choix décisif. Chacun choisira de prendre ou de ne pas prendre LA photo. Neigel, lui, en fera un rendez-vous fantomatique, une hallucination douce, en reviendra plus léger.Tout cela semble bien innocent. Vraiment ?
Extrait: "J'ai cessé de prendre des photos il y a vignt ans, après la mort de M. J'avais à l'époque un Mamiya 35 mm de bonne tenue; je faisais uniquement de la couleur. Je remplissais des alblums entiers. Partout où nous allions -dès que son état de santé le permettait, nous partions en escapade-, j'emportais mon appareil. Je fixais sa présence et en tirais une image, comme pour arrêter ou ralentir le temps, l'empêcher, comme des bâtons dans les roues. Chaque photo était une carte abattue dans la bataille que nous livrions. M. est morte un jeudi, le 7 septembre. J'ai rangé mon appareil et je ne l'ai plus ressorti.
La photographie, aujourd'hui, a perdu beaucoup de son âme avec l'avènement des appareils numériques. Les photos n'ont plus ce caractère crucial et définitif qu'elles avaient du temps de la photographie argentique. Bonne ou mauvaise, une photo était irrévocable et était décomptée de la pellicule. Le développement du film révélait de manière implacable, dans l'ordre chronologique, images réussies et images ratées; impossible d'échapper à la sentence et aux statistiques. Même s'il était toujours permis de multiplier les photos et de renouveler la pellicule, chaque prise de vue avait une valeur unique, et représentait un petit miracle. La dernière photo avait un statut distinct, une saveur particulière. Bien souvent, elle était bâclée, expédiée, pour en finir au plus vite; mais parfois, elle était, au contraire, retardée, soignée, calculée, pour finir en beauté. Alors, on rembobinait.
A la mort de M., il restait quelques photos dans l'appareil. Je les ai prises en fourrant le boîtier sous un oreiller, comme on vide une bouteille dans un évier, pressant le déclencheur en aveugle.
Lien: je vous invite à cliquer sur le terme vidéo pour suivre un entretien de l'auteur à propos de son dernier roman.

dimanche 4 novembre 2007

Moroccan Graffiti

Moroccan graffiti

Exposition photographique de Thami Benkirane
Du jeudi 8 novembre au samedi 29 décembre 2007
à la galerie de l’institut français de Fès

Vernissage le jeudi 8 novembre à 18 H 30




Cette série de photographies se fonde sur l’esthétique de la « troisième image ». Celle qui résulte, lors d’un diaporama, de la projection en fondu enchaîné de deux images.
Techniquement, cette écriture photographique qui évoque le palimpseste (cliquez sur ce terme pour saisir sa signification) repose sur la surimpression d’images directement à la prise de vue sur film argentique.
L’auteur éprouve un attachement sensible et sensuel à la matière rebut, aux graffitis oblitérés ou tenaces, aux fragments d’affiches lacérées, à la rouille, au délabrement des murs, à la ruine… et à tout ce qui révèle l’implacable travail d’érosion du temps.
Cette alchimie coloriste et plastique de la troisième image donne lieu à des rencontres formelles et graphiques dont le décalage par rapport à la réalité bouleverse notre sensibilité visuelle habituelle.

jeudi 1 novembre 2007

Lectures à la clef...





A la faveur de la lecture entamée cette semaine de la nouvelle de Michel Tournier intitulée "Les suaires de Véronique", j'ai évoqué les écrits de cet auteur majeur de la littérature française contemporaine et en particulier ses essais où il a associé texte et image. Par exemple, c'est dans Le "Tabor ou le Sinaï"(1988) qu'il a consigné ses reflexions sur la peinture. La photographie est convoquée dans "Des clefs et des serrures" (1979), "Vue de dos" (1981), "Rêves" (1979).

"Petites proses" (1986) nous donne à lire des textes parus dans Des Clés et des Serrures et le "Vagabond immobile" (recueil de réflexions parus en 1984).



Dans un passage de la nouvelle "Les suaires de Véronique", l'auteur évoque certaines conceptions esthétiques relatives au nu. Je vous invite en cliquant ici à prolonger significativement votre lecture.
Le texte qui va suivre (et que j'illustre avec l'une de mes images) est extrait de son essai "Des clefs et des serrures" et il est intitulé "L'esprit de l'escalier":

"Dans la structure imaginaire privilégiée que constitue la maison, Gaston Bachelard attribuait un rôle fondamental au grenier et à la cave. A la maison toute de plain-pied, comme à l’appartement qui en est l’équivalent, il manque une dimension importante, la dimension verticale avec l’acte de monter et de descendre qui lui correspond. Cette dimension verticale, c’est l’escalier qui la matérialise, et plus particulièrement ces deux escaliers antithétiques et complémentaires : celui qui descend à la cave et celui qui monte au grenier, car, notez-le bien, on descend toujours à la cave, et on monte toujours au grenier, bien que la logique la plus élémentaire exige aussi l’opération inverse.Or, si ces deux escaliers ont en commun un certain mystère et l’inconfort de leur raideur, ils possèdent des qualités bien différentes par ailleurs. Le premier est de pierre, froid, humide, et il fleure la moisissure et la pomme blette. L’autre a la sèche et craquante légèreté du bois. C’est qu’ils anticipent chacun sur les univers où ils mènent, lieu d’obscurité et de durée épaisse, maturante et vineuse de la cave, ciel enfantin et poussiéreux du grenier où dorment le berceau, la poupée, le livre d’images, le chapeau de paille enrubanné.Oui, c’est bien cela : l’escalier est anticipation du lieu où il mène, et cette anticipation atteint son degré le plus ardent lorsqu’il monte de la salle du tripot à la chambre de passe et s’emplit des balancements d’une robe outrageusement échancrée et parfumée.On devrait instituer une société protectrice des escaliers. L’architecture misérabiliste qui les supprime ou les réduit à la portion congrue est déplorable. Les tours gigantesques se condamnent elles-mêmes en rendant invisibles les ascenseurs, ces ludions funèbres, ces cercueils verticaux et électriques. Une vieille loi de l’urbanisme, ou de l’urbanité ? voulait qu’une volée de marches n’excédât pas le nombre de vingt et un d’un palier à l’autre. C’était la mesure humaine.Il est vrai qu’il y a aussi l’escalier inutile, absolu, monumental et solennel. Celui-là ne connaît pas de mesure. Maître de la maison, il exige souverainement ces deux choses que le monde moderne tend de plus en plus à nous refuser : l’espace et l’effort.L’espace, le grand escalier d’apparat, déployé comme un vaste éventail, le dévore à belles dents. Dans un palais, il revendique le principal, le centre, il rêve visiblement de tout prendre, d’envahir la totalité du volume intérieur. Il nous suggère de vivre sur ses marches, de dormir sur ses paliers. Et il prend tout en effet sur la scène du Casino de Paris ou des Folies Bergère lorsqu’il étale, comme un immense et profane reposoir, les chairs les plus avenantes, somptueusement déshabillées. Mais monter un escalier est dur, le descendre périlleux. Qui ne se souvient du cri de défi de Cécile Sorel au terme du dangereux exercice que lui imposaient sur scène ses falbalas et ses cothurnes de strass :

« L’ai-je bien descendu ? »"



Dans la même veine, je vous invite à lire le texte qui donne son titre à l'ouvrage en question en allant le chercher ici

dimanche 28 octobre 2007

Laboratoire d'observation




Voici le texte remanié et élagué d'une communication qui avait initialement pour titre : "La photographie, l'autre et l'ailleurs : rupture des correspondances".

Il va de soi que l'invention de la photographie a contribué de façon significative à transformer en profondeur notre vision du monde, à étendre le champ de nos connaissances et à nous rapprocher de l'autre et de l'ailleurs…Historiquement, la photographie a ouvert la voie à d'immenses chantiers et autres missions d'exploration ethnologique, archéologique et géographique…etc. Du fait de la masse de données imagées disponibles actuellement, quelle personne aujourd'hui, sans jamais avoir franchi les mers et les océans ne possède pas, grâce au médium photographique et ses dérivés, une vision bien nourrie du monde et de ses habitants…Mais à côté de cet incomparable enrichissement, il existe une multitude de peuples à jamais disparus sans nous avoir laissé la moindre trace photographique. Et c'est comme s'ils n'avaient jamais existé! C'est parce qu'ils n'ont pas eu la chance historique à l'instar de cette frange d'indiens immortalisés dans "Tristes tropiques" et sauvés de l'oubli par le regard d'un Claude Levi-Strauss ou encore celle des arabes du marais de l'Euphrate ou du désert approchés par Wilfred Thesiger… Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, aujourd'hui, l'expansion effrénée des images constitue le cheval de Troie pour ne pas dire le rouleau compresseur de cette Mondialisation tant décriée…
Au départ de la saga photographique, il y a l'effet de vérité qui émane des images. L'objectif photographique (qui porte d'ailleurs bien son nom) ne peut enregistrer que ce qu'il voit objectivement. En outre, il a la faculté de voir ce qui échappe à l'œil de l'opérateur photographe!
Selon Emile Zola "Vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose à fond si vous n'en avez pas pris une photographie révélant un tas de détails qui, autrement, ne pourraient même pas être discernés".
La vie est ainsi conçue comme un vaste laboratoire d'observation et la photographie est considérée comme l'outil parfait pour la scruter, la révéler dans ses plus intimes retranchements (je pense ici de façon plus pointue à la photographie et à l'imagerie médicales et scientifiques).
Dans la même veine, le célèbre photographe Richard Avedon nous dit :"Les photos ont pour moi une réalité que les gens n'ont pas. C'est à travers les photos que je les connais".
Cette soif de connaissance du monde et des autres par le truchement de l'image a donné lieu au lendemain de la première guerre mondiale à un véritable élargissement du domaine visuel et à un réajustement des canons esthétiques : à côté des disciplines désormais convenues et traditionnelles du portrait et du paysage (qui constituent une pratique héritée de la peinture), les photographes vont privilégier la rue et s'ouvrir davantage sur le monde. On a assisté à l'émergence d'un réel besoin de documentation sociale : la photographie se fera reflet des mœurs, des traditions, des fêtes, du labeur des gens du peuple, de la misère et des laissés pour compte…Le photographe devient de plus en plus un témoin privilégié qui investit la rue, explore les rites du quotidien, poursuit l'événement…etc.
Les tenants de cette nouvelle photographie dite humaniste recherchent l'éclat fugace de la lumière pour magnifier une tranche de vie, une scène du genre…Leur travail se caractérise par un réel élan de générosité, par un optimisme à toutes épreuves…et surtout par une indéfectible croyance en la dignité de l'homme. Il suffit pour s'en convaincre de feuilleter les albums photos d'un Brassaï, d'un Doisneau, d'un Kertész, d'un Brand, d'un Ronis, d'un Cartier-Bresson, d'un Smith et j'en passe car la liste est tellement longue…En 1955, cette photographie triomphe et donnera lieu à une exposition internationale présentée à New York sous le titre évocateur "The Family of Man".

Mais avec le temps, cette photographie empreinte d'un réalisme poétique fera l'objet de critiques acerbes notamment de la part d'un Roland Barthes qui a dénoncé le "trop de tendresse et d'optimisme" voire de naïveté qui la caractérisent.
En fait, ce qui nous intéresse dans la démarche des photographes humanistes c'est le respect de l'autre car cette qualité dans la pratique de fort nombreux photographes semble faire défaut (je pense à cette image caricaturale de la horde de touristes photographes plus soucieux de mettre le monde en boite que de prendre le temps de le connaître).
Cela peut commencer avec le premier geste du photographe qui consiste à porter l'appareil photo à son œil pour procéder à la prise de vue. Cette position de travail est souvent mal perçue par les gens qui se sentent dévisagés voire agressés et engendre le plus souvent des gestes négatifs qui signifient le refus de l'image ou la menace !
Dans cette perspective, le rapport entre le photographe et la personne photographiée peut être placé sous le signe d’une rupture de correspondances. Ainsi, dans le cas où l'appareil utilisé est à visée reflex, le face à face n'est plus franc et direct mais biaisé en raison du fait que l'image du sujet est formée sur une surface dépolie après renvoi par un miroir incliné. Dans ce cas de figure, il y a rarement symétrie des regards. Hervé Guibert (1981 : 90) évoque l'importance de la diffraction qui permet à la personne photographiée de se croire à l'abri du regard de l'opérateur photographe : " T. me fait remarquer qu'en posant pour B.F.,(…)il a senti un regard moins contraignant, du fait de la diffraction impliquée par le 6.6 : le photographe regarde en bas, la tête penchée vers l'appareil, dans une attitude proche du recueillement (et même de la prière), son regard ricoche par un jeu de miroirs vers son modèle; une sorte d'inclination a remplacé la prédation…".
Néanmoins, comme le suggère à juste titre Jean-Claude Lemagny (1992:168), le visage de la personne photographiée "retourne presque comme un miroir, vers le photographe ce qu'il est lui-même, un être regardant. Au moment où il travaille, le photographe se trouve soumis (et souvent avec quelle intensité) à ce qu'il fait subir d'habitude aux choses et aux gens: être scruté, n'exister que par et dans un regard". Mais dans cette relation particulière à l'autre, sommes-nous installés dans la connivence et le don ou bien dans l'affrontement des regards ?
Un petit détour par les archives de l'armée coloniales françaises nous apporte un témoignage intéressant. Ainsi, pendant la guerre d'Algérie, le sursitaire Marc Garanger est amené par ses supérieurs à tirer le portrait des femmes autochtones afin d'établir leur carte d'identité. Toutes ces femmes ont été obligées de se dévoiler et d'accepter l'intrusion du photographe. Leur protestation est restée muette. Pourtant, aujourd'hui encore, on peut la déceler dans leurs yeux qui hurlent leur désaccord et leur désarroi. Fait anecdotique rapporté : quand le capitaine a vu les tirages sur papier de ces algériennes, il s'est écrié à l'intention de son état major : "Venez voir, venez voir comme elles sont laides! Venez voir ces macaques, on dirait des singes!".
Au-delà de cette remarque empreinte de racisme primaire, ces portraits de femmes faits sur ordre du pouvoir militaire constituent aujourd'hui une précieuse mémoire et un témoignage d'une inestimable valeur.
En général, le photographe respectueux de la déontologie et de l'éthique cultive les relations humaines et négocie a priori pour avoir le consentement de la personne à photographier. Mais, il existe également des pratiques qui optent pour des prises de vue volées et faites à l'insu du sujet. Ces dernières s'inscrivent indiscutablement dans le champ de la prédation.
Ce terme de prédation ne peut manquer de nous interpeller. En effet, il est facile de mettre en avant le fait que le photographe est avant tout un chasseur d'images. D'ailleurs, une revue française mensuelle destinée aux photographes amateurs porte bel et bien ce nom. Jules Renard (1896) ouvre le recueil célèbre de ses Histoires naturelles par un texte poétique dédié au chasseur d'images (à ce propos, je vous invite à lire ce poème et à voir son illustration en cliquant ICI). Mais dans ce dernier cas, le chasseur est avant tout un promeneur solitaire possédant un sens aigu de l'observation de la nature…
Dans ce paradigme de la chasse et de la prédation, la photographie ne manque pas d'aligner un vocabulaire empreint d'une charge toute militaire! Déjà en 1882, Etienne-Jules Marey met au point ce qu'il appelle un fusil photographique pour étudier le vol des oiseaux. De même, ne dit-on pas s'agissant de photographie "charger", "armer", "viser", "braquer", "tirer", "mitrailler"…
Dans certains cas, l'acte de prise de vue peut se transmuer en acte de prise de vie. Nous gardons tous en mémoire l'assassinat en 2001 du chef afghan Massoud: la bombe qui l'a tué était dissimulée dans la caméra des faux journalistes venus l'interviewer…
Il existe bien sûr une frange notable de la corporation des photographes qui s'appuie délibérément sur un acte de prédation : j'ai nommé les paparazzi. Ces derniers pourchassent les stars et les célébrités de ce monde afin de nourrir de clichés indiscrets une certaine presse…
Face à ces excès, nous avons tout récemment assisté à une mise en accusation des photographes, à un durcissement de la législation qui concerne le droit à l'image et à une restriction de la libre circulation des images ce qui porte atteinte, paradoxalement, au droit du public à l'information qui se fonde sur le "droit de savoir mais aussi sur le droit de voir".
La presse et la télévision ont rendu compte des procès intentés par des particuliers à des photographes qui n'ont pas sollicité au préalable leur accord pour figurer sur les photographies. Les photo-reporters sont de plus en plus victimes de la privatisation de l'espace public. Régis Durand résume bien cette nouvelle situation :
"Les photo-reporters continuent à faire comme s'ils étaient dans une économie primaire de cueillette et de prédation : on va dans le monde et on saisit ce qui est devant soi, en ne rendant de compte qu'à sa conscience et à la déontologie de la profession. Or aujourd'hui, cela ne marche plus ainsi dans aucun domaine. Les espaces sont privatisés, tout relève d'une économie, d'une gestion et les photographes doivent aujourd'hui payer pour des choses qui étaient jusque-là considérées comme ressources naturelles".
Cette dérive marchande du droit à l'image n'a pas de limites. Tout récemment, en France, les propriétaires d'un puy d'Auvergne ont réclamé l'équivalent de 190000 francs de dédommagement à une entreprise pour avoir fait usage d'une photographie aérienne de leur colline!
Cela risque-t-il de mettre un frein à la photographie aérienne et à cette série de livres qui a pour visée principale de photographier un pays ou une contrée avec un point de vue distancié depuis les hauteurs du ciel. On peut citer parmi les livres de cette collection : le Maroc vu d'en haut. Un livre où les paysages sont grandioses et magnifiques et où les habitants sont réduits à la portion congrue des lilliputiens.
Quand j'ai regardé les images de ce livre marquées par une esthétique des hauteurs, j'ai senti grandir en moi l'envie de faire un livre qui aurait pour titre : le Maroc vu d'en bas. Un livre à l'échelle 1 / 1 sur le Maroc et les marocains vus par un marocain, histoire pour une fois de nous regarder avec nos propres yeux et non avec les yeux des autres…
J'ai fait les démarches nécessaires pour avoir les autorisations auprès des autorités. Je les ai rassurés sur la nature de mon travail. J'ai eu les autorisations. Mais c'est une fois sur le terrain que les ennuis ont commencé! Dès qu'un sous-fifre analphabète de notre inébranlable et inénarrable maghzen aperçoit l'appareil photo et le trépied, il accourt et me conduit au poste. Quand je lui montre mes autorisations, il me demande d'en faire une photocopie et par excès de zèle me conduit quand même au poste… A la nième arrestation, j'ai fini par laisser tomber mon projet : c'est dur le maghzen vu d'en bas…

Tout cela pour dire combien l’acte photographique ne va pas de soi et n’est pas une entreprise commode. Si l’appareil photo est par essence un outil neutre, les relations de l’opérateur photographe avec ses concitoyens et avec le pouvoir en place peuvent susciter tensions et malentendus…Par exemple, dans tous les foyers de tension ou de guerre à travers la planète, le reporter-photographe demeure le plus souvent persona non grata. Très souvent, il est pris en otage quand il ne paye pas son témoignage de sa vie.Pour plus d'information sur ces graves questions, cliquez ICI