jeudi 26 mars 2009

Le rêve des uns e(s)t le cauchemar des autres


Ce livre récemment publié chez Arthaud veut nous donner à voir selon la quatrième de couverture une centaine de scènes " des débuts de la photographie jusqu'aux années 1950, reflets d'un Maroc ordinaire ou extraordinairement sophistiqué.
Ce catalogue de clichés met en abîme le rêve orientaliste des Européens, et met peu à peu en scène un mythe. Celui du mieux-vivre, d'une certaine idée de l'Orient - vision oxymorique s'entend, car le Maroc, Al Maghreb en arabe, signifie l'«Occident». Chaque photographie est accompagnée d'un texte thématique venant appuyer l'image, et qui replace le Maroc dans sa réalité historique ou contemporaine, balayant nombre de lieux communs, véhiculés par l'image, justement...
Ce livre que je viens de parcourir prêche par un certain nombre d'imperfections. Le corpus photo rassemblé souffre d'incohérences et de plusieurs lacunes. Le titre de l'ouvrage laisser croire qu'il ne s'agit que de photographies prises au Maroc. Titre trompeur! En réalité, le lecteur découvre des images issues d'autres fonds iconographiques maghrébins (beaucoup d'images d'Algérie et de Tunisie).
Les légendes de ces photographies sont souvent approximatives quand elles ne sont pas tout bonnement erronées!
L'auteur a fait le choix d'accompagner chaque photographie d'un texte très souvent à coloration ethnographique qui offre des clés de lecture pour mieux cerner son contexte historique et culturel. Cette initiative, a priori louable, a été menée avec beaucoup d'à-peu-près et de manque de rigueur. Très souvent, les titres de ces textes offrent des raccourcis faciles ou surprenants! C'est le cas par exemple de celui de la page 92 consacré au cérémonial du thé : " Le thé à la menthe, un whisky berbère" ! Ou encore celui de la page 84 : "La babouche, marque de noblesse"!
Le livre s'ouvre sur un premier texte (page 12) : "Qu'est-ce qu'un protectorat ?" La réponse apportée à cette question est une éloquente illustration de ce que peut être une Histoire tronquée et expédiée à la va-vite!
Plus encore, l'auteur a fait appel -sans esprit critique- à des citations d'auteurs divers qui ne renvoient pas forcément à la réalité marocaine de l'époque mais plutôt à une littérature sous-tendue par un Orient fantasmé et réducteur. Ces citations sont très souvent en porte-à-faux avec les images qui les côtoient (cf. pages 76 et 77, 94 et 95...etc.)
Par ailleurs et de façon agaçante ou mal à propos, plusieurs extraits de sourates coraniques et de hadiths ont été convoqués et noyés dans la masse.

Dans cette même veine critique, j'ai pu lire une autre évaluation signée de la main de Pierre Rousseau : "Cet ouvrage est une pure merveille sur le plan iconographique puisqu'il collationne les plus beaux clichés qui aient été pris autrefois au Maroc, par des photographes de renom ou anonymes. En revanche, les textes-commentaires ne sont que des contrevérités tant sur le plan historique que littéraire et tournent véritablement à l'absurde ; il suffit de lire pour s'en faire une idée, les deux pages consacrées à Lyautey et à Loti qui montrent à quel point l'auteur, au-delà de son désir de paraître original dans ses analyses, est totalement ignorant des grandes analyses littéraires et historiques pourtant effectuées par des personnes réellement cultivées et qui, à ce titre, elles sont autorisées à le faire. C'est regrettable! Un si beau livre gâché par des textes infondés, la seule contribution pourtant de l'auteur à cette publication puisque les photographies ne sont pas de lui."


Extraits
. Le livre s’ouvre, à la page 9, sur un premier texte intitulé « Un orient désorienté » :

« Au printemps de l’année 1830, la France débarque en Algérie, ou plus exactement sur la côte des Etats barbaresques, un pays peuplé de Barbares que la France entend maîtriser, dresser, éduquer, convertir, et pourquoi pas chérir. Un orient barbare, donc. Mais est-ce véritablement l’Orient ?

Là est certainement la vraie question. Rien dans la géographie, rien de bien évident dans les mœurs. Et que sait-on du paysage ? Rien non plus, pas même un croquis. Non, le Maghreb n’est que l’autre rive de la Méditerranée, un point c’est tout ! C’est un Sud pour la France, un Nord pour l’Afrique, un Couchant pour les Arabes, mais ce n’est point l’Orient. Le Maghreb n’a rien de levantin, c’est un pays du ponant, un territoire extrême pour l’islam. Une terre où le soleil se couche.

Le problème vient toujours qu’il est donné à confondre Orient et orientalisme. L’Orient est plus un concept, une idée, qu’une réalité. C’est un avant-goût du paradis, une passerelle maintenue artificiellement vers la tradition hébraïque, dans laquelle l’islam et le christianisme plongent leurs racines communes.

A l’évidence, on voit bien qu’il n’y a là-dessous rien de très géographique ; il s’agit le plus souvent d’un Orient su, fini, défini par des codes, et accommodé aux exigences morales imposées par la religion chrétienne, depuis que Constantin, nouvellement converti au christianisme, a scellé l’Empire romain à son déclin. Il s’agit d’un « au-dehors ». La vérité est que le Maghreb est un ailleurs désorienté.

(…)Le Maghreb photographié contente son monde, car les photos succèdent sans heurts à la peinture orientaliste. Elles offrent au « regardant » une série d’attitudes et de poses qui le satisfont et le confortent dans son désir d’éternité. Il s’agit de vues intemporelles, d’icônes qui ne vieillissent pas, fussent-elles littéraires et montrant à l’envi un territoire à conquérir et des indigènes à éduquer. Le fantasme du Maghreb est né avec la représentation, donc –dans ce qu’elle donne à voir mais ne révèle pas, forgée à l’aune des manques d’une société occidentale qui ne s’aime pas, si tant est qu’elle se soit jamais aimée, d’ailleurs…

Et toujours éblouie par des images surexposées. »



dimanche 22 mars 2009

Passage, présence, aimance


L'université Sidi Mohammed Ben Abdellah et la Faculté des lettres et des sciences humaines Dhar el mahrez de Fès organisent le 25 et 26 mars 2010 un colloque international en hommage aux professeurs Marc Gontard et Bernoussi Saltani :

Passage, présence, aimance.
Critique littéraire et critique d'art au Maroc


Argumentaire

Le champ critique marocain a connu depuis les années 50, aussi bien dans le domaine littéraire francophone que dans le domaine des arts, une évolution remarquable. Commentant la situation des arts plastiques au Maroc lors d'un entretien accordé à Abdellah Cheikh en août dernier à l'occasion de l'exposition de ses dernières oeuvres, Mohamed Melehi affirme ce qui suit :
" C'est une réalité à la quelle la plupart des marocains ne font pas attention du fait qu'ils ignorent le parcours visuel au Maroc. Ils oublient le fait que nous suivons la tradition européenne. La peinture qui se fait au Maroc a ses racines en Europe. Elle n'a rien de marocain. Mais, elle peut avoir des aspects et des parfums marocains qui restent à déceler. Ce qu'il faut que les marocains se mettent dans la tête, c'est que l'art contemporain est la suite d'une tradition européenne. A mon sens, le public marocain doit avoir une connaissance meilleure de l'histoire de l'art et notamment celle du 19ème siècle et du 20ème siècle. Autrement, on est perdu."

Un tel jugement porte, en fait, aussi bien sur l'histoire des arts au Maroc que sur les discours critiques qui l'environnent et les fondent. Dans tous les cas, il pose un certain nombre de problématiques relatives aux spécificités historiques et esthétiques d'une production qui n'a guère plus de 70 ans mais dont le cheminement et l'évolution vont de paire avec la production plastique occidentale.
L'on sait que les européens, principalement les Français (du fait même des années de Protectorat) ont à la fois initié et façonné le fait plastique marocain dès ses premières tentatives : tous les éléments du champ plastique marocain étaient définis selon les modes et les modalités esthétiques occidentales : ouvertures d'écoles des beaux arts, ouvertures de galeries, édition de livres d'art, couvertures médiatiques par la presse écrite, et surtout discours critiques sur ces productions.
Dès les années 60, et en réaction à la domination « occidentale », émergea toute une mouvance tendant à mettre en valeur la spécificité plastique de cette production ; le champ plastique verra entrer des éléments nouveaux qui modifieront profondément cette production et partiellement ses modes de jugement. En effet, de nouvelles revues (Souffles, Lamalif, Al Assas, Kalima entre autres), de nouveaux contenus des enseignements dans les écoles des Beaux Arts, de nouveaux espaces d'expositions verront le jour, etc.
Progressivement de nouveaux discours critiques ont commencé à prendre forme; ils sont le fait principalement d'universitaires qui introduiront de nouvelles façons de voir l'oeuvre d'art et de la juger.
Le champ littéraire marocain francophone a connu une évolution similaire. Depuis les fondateurs (Séfrioui, Tahar Ben Jelloun, Driss Chraïbi) jusqu'à maintenant, se sont succédées plusieurs générations d'écrivains aux esthétiques et aux thématiques variées. La réception critique de ces auteurs a connu les mêmes déterminations internes et externes.
Le premier objectif de ce colloque est donc de cerner les contours, tracer les tendances et définir les spécificités de cette production et des discours critiques dans ces deux champs au Maroc.
Le deuxième objectif est de rendre hommage à deux professeurs (certes de générations différentes) qui ont contribué, par leurs études, leur enseignement et leur engagement dans la coopération franco-marocaine, à former des chercheurs et à interroger cette double production.


Axes proposés :
(NB : les axes qui suivent se veulent seulement des éléments d'orientation ; d'autres axes peuvent être proposés par les participants)


- Critique littéraire et histoire littéraire au Maroc
- Critique d'art et histoire de l'art au Maroc
- Fondements de la critique littéraire (fondements épistémiques, théoriques et méthodologiques)
- Fondements de la critique d'art (fondements épistémiques, théoriques et méthodologiques)
- Champ littéraire au Maroc (instituions, édition, prix, universités, critique, etc.)
- Champ artistique au Maroc (instituions, édition, prix, Ecoles des beaux arts, critique, etc.)
- La critique d'art « des Français »
- La critique d'art des marocains
- Marc Gontard critique littéraire, critique d'art et écrivain
- Bernoussi Saltani, chercheur et poète


Comité d'organisation : T. Benkirane, K. Hadji, A. Kamal, C. Tazi, A. Tenkoul

Contact : Pour toute participation, envoyer titre et résumé de la communication, avant le 24 décembre 2009, à l'adresse électronique suivante :

colloque.gontard_saltani@yahoo.fr

mercredi 11 mars 2009

Photofictions

Présentation : Paru le 12 février 2009, le livre de Roger-Yves Roche ( enseignant de photographie et de littérature à l'université Lumière-Lyon 2) intitulé : Photofictions. Perec, Modiano, Duras, Goldschmidt, Barthes et publié aux Presses Universitaires du Septentrion est présenté par les éditeurs en ces termes :
"Débrouiller l'écheveau complexe de la mémoire et des images, et singulièrement de la photographie, dans le texte autobiographique contemporain (celui-là même que l'on nomme parfois autofiction), telle est la tâche que s'est donnée l'auteur du présent ouvrage.
Un essai fait de patience et de passion, qui, quand il n'est pas une tentative de mise au jour d'une sorte d'inconscient visuel à l'oeuvre, prend très vite les allures d'un roman familial à plusieurs voix.
Où s'entrelacent les fils et ficelles de la ressemblance et de la différence, du mort et du vif, et, aussi bien, du masculin et du féminin : le fantasme de la réconciliation d'un auteur avec son image, en quelque sorte."

En voici, en guise de premier contact avec cet ouvrage, de courts extraits :

Avertissement (entrée des fantômes)

Chérie, les photos sont belles, les photos sont indispensables, mais elles sont aussi un tourment.
Franz Kafka, Lettres à Felice

L'histoire est forcément connue, puisqu'elle figure dans toutes les histoires de la photographie. C'est l'histoire dans l'Histoire et c'est une histoire de famille, déjà. Baudelaire n'aimait pas la photographie, il la détestait. On a encore en mémoire le violent anathème qu'il jeta à son endroit. «Jours déplorables» qui ont vu naître la triviale image et destin de misère annoncé : «Mais s'il lui est permis d'empiéter sur le domaine de l'impalpable et de l'imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l'homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous !». L'histoire, cependant, ne s'arrête pas là, et c'est heureux pour nous. Car tel poète peut bien élever la voix tout entière contre les effets et méfaits d'une nouvelle forme d'image qui vient tout juste de naître, il n'en reste pas moins homme, et donc soucieux, voire désireux, d'aller y voir d'un peu plus près. À quoi ça ressemble, à quoi je ressemble. Et de s'abandonner sans autre forme de procès (sic) à l'objectif de Nadar l'ami, ou celui de Carjat, le sorcier. De fort beaux portraits en vérité, éloquents en diable, inaltérables à souhait. Mais ce n'est pas tout, ou pas assez. Le poète a sans doute d'autres raisons que les photographes ignorent. Dont acte.

Baudelaire désire donc et aussi, un jour, que sa mère se fasse photographier. Une lettre le prouve, adressée à Madame Aupick et datée du 22 décembre 1865, cette lettre-là plus intime que l'autre citée plus haut : «Je voudrais bien avoir ton portrait, c'est une idée qui s'est emparée de moi. Il y a un excellent photographe au Havre. Mais je crains bien que cela ne soit pas possible maintenant. Il faudrait que je fusse présent». Et puis, on comprend très vite que ce que Baudelaire veut, c'est prendre la place du photographe : «Tu ne t'y connais pas, et tous les photographes, même excellents, ont des manies ridicules ; ils prennent pour une bonne image une image où toutes les verrues, toutes les rides, tous les défauts, toutes les trivialités du visage sont rendus très visibles, très exagérés». Et puis enfin, on finit par croire que cette photographie ne serait pas précisément une photographie, mais une représentation qui oscillerait entre le dessin et la photographie, entre une absence métaphorisée, «passée» dans les traits, et une présence inscrite à même la matière : «Il n'y a guère qu'à Paris qu'on sache faire ce que je désire, c'est-à-dire un portrait exact, mais ayant le flou d'un dessin».