jeudi 27 décembre 2007

Vitesse de la Lumière

Vitesse de la lumière est un livre bicéphale : textes d'Andrée Chedid et peintures de Christian Broutin, éditions Le voir dit.


extrait de la préface: "Le titre de la collection avait été suggéré par le poète Jean Tardieu pour le film que lui avait consacré Arte en 1991, Jean Tardieu ou le Voir dit, révélant ses rapports secrets avec certains peintres contemporains, comme Jean Bazaine, Vieira Da Silva, Hans Hartung, Picasso ou Pierre Alechinsky… pour n’en citer que quelques-uns.
L’origine de ce titre vient de Guillaume de Machaut, poète et musicien du XVIe siècle, créateur de l’école polyphonique française, qui a écrit un poème d’amour de 9 000 vers : Le Voir dit. Or, à l’époque, le « voir » signifiait le « vrai » ; double raison pour nous de choisir ce titre à double sens. Il y aura donc, dans cette nouvelle collection, à voir et à dire vrai.
Vitesse de la lumière / Instantanés est le premier livre de cette nouvelle collection, Le Voir dit, dont le but est de mêler peinture et poésie contemporaines, réseau croisé des « phares » déjà allumés par Baudelaire avec Delacroix.

Reproduisant les peintures de Christian Broutin et les textes d’Andrée Chedid, ce premier ouvrage illustre bien la philosophie de cette nouvelle collection qui souhaite, dans chacun de ses livres, mettre en scène la rencontre d’un peintre et d’un écrivain contemporains ; le lecteur étant ainsi convié, devant le rideau de la scène, à « voir » une œuvre et, derrière le miroir, dans l’arrière pays, à « entendre » un texte qui se déploiera sous ses yeux comme une interprétation libre et subjective de la chose vue.
Par ailleurs, le livre exprime la quête commune des deux artistes ; Andrée Chedid et Christian Broutin parlent d’une même voix de tout ce qui nous touche – ici la mort d’une mère très aimée – et de tout ce qui nous dépasse. Poèmes et tableaux révèlent les liens tissés au cours d’une vraie rencontre – un des objectifs-clés de cette nouvelle collection – celle qui suscite le « déclic » de la création commune, transcendant une réalité douloureuse ou un bonheur partagé.
Andrée Chedid, avec le talent et la pudeur qui la caractérisent, a su réinventer le deuil d’une mère à travers les souvenirs de Christian Broutin. Ce dernier, grâce à des clichés photographiques, a pu, en passeur inspiré, peindre de grands tableaux en noir et blanc, qui rendent encore plus vives l’émotion et la nostalgie du paradis perdu de l’enfance.
Ce travail correspond en tout point à une déclaration de foi d’Andrée Chedid : « J’écris pour essayer de dire les choses vivantes qui bouillonnent au fond de chacun ; j’espère ainsi pouvoir communiquer (…) Je veux garder les yeux ouverts sur les souffrances et la cruauté du monde mais aussi sur sa lumière, sur sa beauté, sur tout ce qui nous aide (…) à mieux vivre, à parier sur l’avenir. »

Enfin, notons, qu’autour de ce livre d’art, se rejoue une autre rencontre réalisée vingt ans plus tôt, autour d’un autre ouvrage, Le Sixième jour. Françoise Dax-Boyer s’était vue confier par Andrée Chedid la rédaction de la préface de son roman (Flammarion – Castor Poche) et Christian Broutin l’illustration de la couverture – la felouque sur le Nil.
En 2006, c’est elle, devenue directrice de collection, qui demande à l’écrivain d’inaugurer, aux côtés de Christian Broutin, son Voir dit."

La Mère écrite

"On n’écrit que pour sa mère (…) L’écriture et la mère ont partie liée » affirme François Weyergans. Dans ce livre, l’écriture, la peinture, et la mère tissent des liens si mystérieux qu’on ne sait qui, de l’écrivain Andrée Chedid ou du peintre Christian Broutin, réinvente la mère.
Mise en scène subtile d’un moi-toi, toi-moi, eux-elles, nous-eux, elles-nous, où leurs structures mentales s’entrelacent pour donner à lire et à voir la déchirure du jour même de la naissance, la nostalgie du paradis perdu de l’enfance.
Entre eux, une alchimie intime, une co-naissance où l’art est salvateur. Elle ne résiste pas à son oeil rieur et quand l’œil viseur de Christian Broutin capte les événements clés de la Vie, donnant chair et sens à une mère trop tôt disparue – il avait à peine cinq ans –, elle lui dédie ces « Instantanés » de force, d’espoir et d’amour.
Par le travail du pinceau, véritable corps à corps avec la création, il provoque, en choisissant le noir et blanc, un choc émotionnel sans égal. La perspective des ombres et des lumières, l’étrange obscurité des jours, les pertes de perception et de vision allant jusqu’au mirage intérieur du cimetière, ouvrent sur des abîmes que seul le langage d’Andrée Chedid peut traduire. (…)
La vitesse de la lumière, surtout ne la dépassons pas ! Sachons rester dans les remous, les révoltes, les combats, les yeux grands ouverts sur la vie.
Méditation sur le temps qui passe et la mort, mystère de la peinture qui pense sans mots, mystère de l’écriture qui pense parfois sans images." (Françoise Dax-Boyer)

Le peintre : Christian Broutin

"Né le dimanche 5 mars 1933 dans la Cathédrale de Chartres, Christian Broutin a choisi, il y a plus de vingt ans, la vallée de la Seine pour y poursuivre son aventure picturale et graphique.
À cinq ans, après la mort de sa mère, guidé par son grand-père maternel bibliophile, il découvre le dessin en copiant Grandville et Gustave Doré. Le début d’une vocation : « J’ai dessiné depuis que je suis enfant. Je ne pensais pas en faire un métier tant c’était ma façon de respirer ». Il entre à l’École nationale supérieure des Métiers d’Art et sort premier de sa promotion. Il obtient en 1953 le professorat de la ville de Paris.
Touche à tout de génie, il travaille pour le cinéma, la publicité, l’édition, la photographie et ne cesse de poursuivre une oeuvre de peintre et d’illustrateur, de plus en plus reconnue.
Ses toiles sont exposées en France et à l’étranger, des États-Unis au Japon en passant par le Canada, l’Italie, le Danemark, la Grande-Bretagne et l’Espagne. Il obtient en 2003, le prix du Conseil Régional d’Ile de France pour une de ses peintures.
Il a réalisé une centaine d’affiches de films, notamment celles de Jules et Jim de François Truffaut, pour laquelle il obtient le prix Toulouse-Lautrec en 1962. En 1976, il crée, à partir de ses dessins, un court-métrage La Corrida qui lui vaut le prix Jean Vigo. En 1983, il reçoit le grand prix de l’Affiche française.
Parallèlement, il participe à de nombreuses campagnes de publicité pour les plus grands annonceurs.
Il illustre plusieurs dizaines de romans, ainsi qu’un grand nombre de couvertures d’ouvrages – parmi lesquelles Le Sixième jour d’Andrée Chedid – et des livres pour la jeunesse et la littérature fantastique.
Depuis 1996, il est créateur de timbres pour la Poste – dont la série « Jardins de France » – et reçoit, en 2003, le Grand Prix de l’Art Philatélique Français.
Passionné de sports, de gastronomie, d’oenologie, d’astronomie… et du Mont Saint-Michel, il puise une partie de son inspiration dans les voyages qui lui font parcourir la planète qu’il observe d’un œil toujours neuf."

Les huit toiles du présent recueil de grande taille, peintes à l’acrylique, lissées et sans empâtement, sont dédiées à sa mère, « images si réelles, si rêvées » du vert paradis de l’enfance qui ont tant touché Andrée Chedid.

L’écrivain : Andrée Chedid

"Née au Caire en 1920, Andrée Chedid habite Paris dès 1946, par choix, parce qu’elle aime cette ville depuis l’enfance.
Elle écrit depuis l’âge de dix-huit ans, : « Écrire, c’est très dur, c’est aussi de grandes fenêtres de joie… »
Mise en pension à l’âge de 10 ans, elle apprend l’anglais et le français mais exprime sa tendresse en arabe. Après un séjour en Europe, elle revient au Caire dans une université américaine.
Son rêve était d’être danseuse mais elle y renonce pour se marier à 22 ans avec un médecin dont elle a deux enfants, Michèle et Louis, et, à présent, des petits-enfants.
Pour avoir vécu et fait des études en Égypte et au Liban, elle connaît aussi intimement le Moyen-Orient que la France et l’Occident. Son œuvre entière porte les marques de ce multiculturalisme, riche de questionnements sur la condition humaine.
Aujourd’hui elle occupe une place de choix parmi les auteurs français contemporains. Romancière, nouvelliste, dramaturge et surtout poète : « Je reviens toujours à la poésie, comme si c’était une source essentielle », ses nombreux ouvrages en prose, notamment Le Sixième jour, porté à l’écran, ou en vers lui ont valu d’importants prix littéraires, comme le Goncourt de la nouvelle, le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres, le Prix Louise Labé, le Prix Mallarmé… pour ne citer que ceux-ci.
Andrée Chedid est une femme bien de notre temps ; ses écrits restent jeunes dans le plein sens du terme. « Avancer, reprendre joie, défier l’obstacle, peut-être le vaincre, puis aller de nouveau : tels sont nos possibles. » Ainsi s’exprime-t-elle dans une sorte d’art poétique qui est aussi art de vivre intitulé Terre et Poésie dans le recueil Visage Premier (1972). Toujours active aujourd’hui dans le monde des lettres, elle a publié un récit en hommage à sa mère Alice Godel, Les saisons de passage, et plus récemment des poèmes réunis sous le titre Rythmes aux éditions Gallimard."




mardi 11 décembre 2007

Photographie coloniale



Safia belmenouar et Marc Combier (2007), Bons baisers des colonies: images de la femme dans la carte postale coloniale, éditeur Alternatives, Paris, France.

La présentation de l'éditeur

La carte postale coloniale fait partie de notre histoire, de notre imaginaire : messagère d'amour ou d'amitié, de simples salutations envoyées par le voyageur, le militaire, le fonctionnaire ou l'explorateur vers la métropole, elle est aussi, par sa très large diffusion, un support idéologique privilégié.Les femmes y sont photographiées à travers une élaboration codée, une mise en image stéréotypée : voilées ou dévoilées au Maghreb, dénudées et sauvages en Afrique noire, pudiques et policées en Asie. Ordre et imaginaire les recréent ainsi de toutes pièces, les enfermant dans une représentation fantasmatique.Bons baisers des colonies offre un regard contemporain sur cette iconographie, sans méconnaître les contextes historiques qui en ont fait le produit d'une domination à la fois masculine et coloniale.Ces femmes, venant des quatre coins de l'Empire, ont en commun une seule constante : elles ne sont pas sujets de leur propre histoire. Pure construction idéologique, la carte postale coloniale élude la femme réelle, sa complexité, en un mot, son altérité.

Extrait : les premières lignes
«Dans un Maghreb totalement soumis et réduit au silence, photographes et cinéastes ont afflué pour nous prendre en image. (...) Surtout, derrière le voile de cette réalité exposée, se sont réveillées des voix anonymes, recueillies ou re-imaginées, l'âme d'un Maghreb unifié et de notre passéAssia DJEBAR, La Zerda ou les Chants de l'oubli.
MAURESQUES NUES SOUS LE VOILE
La Mauresque, figure d'un temps arrêté
Dans une chronique sur «l'Algérie vue de Paris», Théophile Gautier se plaît à évoquer l'engouement de ses contemporains pour un spectacle de cirque d'un genre nouveau, l'exhibition dansante «de races exotiques». En ce jour de septembre 1845, les «Moresques» sont au programme. Les belles offrent au public une danse à petits pas, le corps ondulant avec une grâce imperceptible, suivie d'une danse de conjuration des esprits, les chevelures agitées en cadence. Les danseuses sont sifflées et raillées : trop éloignées de leurs comparses de «La Révolte au Sérail» (de Filippo Taglioni, 1833), de ces «odalisques de carnaval», conclut le chroniqueur, c'est-à-dire «trop vraies». Et, un brin apitoyé, il fustige : «Pourquoi siffler de pauvres diables qui font naïvement ce qui se fait dans leur pays et vous représentent au naturel ce que vous admirez dans les tableaux de Decamps, d'Eugène Delacroix et de Marilhat ?» C'est que, en matière de divertissement, les goûts du public sont souverains : «De la gaze blanche à pois d'or et des caleçons couleur pêche, voilà comme le Parisien se figure l'Aimée», raille-t-il à son tour. La Mauresque rate sa première entrée sur la scène parisienne.
Mais elle revient en force, dupliquée à l'infini, sous forme de cartes postales, lors des premières décennies du XXe siècle. Qui est donc cette Moresque ou Mauresque ? Sont-elles les descendantes des royaumes numides et maures, nous projetant ainsi aux temps de l'Antiquité ? Ou encore les descendantes des Maures andalous qui, vaincus par les Rois Catholiques, s'enfuient du «Paradis de Grenade» et posent pied en terre africaine. Sont-elles les lointaines descendantes de ces augustes exilés, issues de la tribu du «Dernier des Abencerages» que ravive, à sa manière, chez François-René de Chateaubriand, la littérature romantique ?
William Shaler, témoin privilégié de la vie sous les deys, en tant que consul général des Etats-Unis à Alger, entreprend de présenter les peuples et les moeurs en vigueur dans ces royaumes d'avant la présence française. Dans son «Esquisse de l'Etat d'Alger», publié en 1826, il désigne sous le terme «Maures» du royaume d'Alger, un mélange d'Arabes des plaines, d'émigrés d'Espagne ayant contracté des alliances avec les Turcs et avec les Africains de l'inté­rieur. L'administration militaire française délaisse cette appellation pour ne plus distinguer qu'Arabes et Kabyles.En 1929, on retrouve, sous la plume d'un écrivain-voyageur, l'évocation de ces «braves petites Mauresques» qui s'engouffrent «voilées, sous les portes cochères des hautes demeures du quartier européen» où elles officient en tant que domestiques. L'auteur précise qu'elles «n'ont plus rien des fabuleuses odalisques des contes des "Mille et une nuits"». Souci de vérité ou nostalgie d'un monde auquel il faut bien renoncer lorsque l'on se préoccupe de rédiger un guide touristique à l'usage de ses contemporains ? De la «Moresque» de cirque aux «braves petites Mauresques» pittoresques, la femme «indigène» se perpétue, à travers les siècles, sous cette dénomination immuable et romantique.

lundi 10 décembre 2007

Contactez le père Noèl !




Au départ, sur une idée de William Klein, CONTACTS est cette collection de référence sur la photographie. Le coffret composé de 3 DVD permet de découvrir la démarche artistique des plus grands photographes contemporains sous un angle original : au fil d'un parcours en images (planches-contact, épreuves de travail, tirages ou diapositives) l'auteur commente en voix off son propre travail photographique pendant 13 minutes. Cette lecture commentée de la planche contact permet l'accès à l'avant et à l'après d'une photo choisie. Ce faisant, le spectateur pénètre dans l'univers secret du travail de création, au coeur du processus d'élaboration d'une oeuvre photographique.



Vol. 1 : LA GRANDE TRADITION DU PHOTO-REPORTAGE

William Klein, Henri Cartier-Bresson, Raymond Depardon, Josef Koudelka, Edouard Boubat, Elliott Erwitt, Marc Riboud, Helmut Newton, Don McCullin, Léonard Freed, Mario Giacomelli.

Vol. 2 : LE RENOUVEAU DE LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE

Sophie Calle, Nan Goldin, Duane Michals, Sarah Moon, Nobuyoshi Araki, Hiroshi Sugimoto, Andreas Gursky, Thomas Ruff, Jeff Wall, Lewis Baltz, Jean-Marc Bustamante.

Vol. 3 : LA PHOTOGRAPHIE CONCEPTUELLE

John Baldessari, Bernd et Hilla Becher, Chistian Boltanski, Alain Fleischer, John Hilliard, Roni Horn, Martin Parr, Georges Rousse, Thomas Struth, Wolfgang Tillmans.

dimanche 9 décembre 2007

Un livre, un film




Le photographe canadien Edward Burtynsky a effectué un long reportage en chine dans lequel il a cerné les méfaits néfastes et pernicieux de la pollution et de l’industrialisation à grande échelle sur les paysages naturels. En parallèle avec le livre "Burtynsky China", le film documentaire "Paysages manufactures" (sorti dans les salles françaises le 28 novembre 2007) constitue un cri d'alarme et une profonde réflexion sur l’industrialisation, l'altération des paysages naturels et la dégradation des conditions de vie de l'Homme.



Selon l'auteur : "La nature transformée par l’industrie est un thème prédominant dans mon travail. Ces images sont des métaphores du dilemme de notre existence moderne ; elles tentent d’établir un dialogue entre attraction et répulsion, séduction et crainte. Pour moi, ces images agissent comme des miroirs de notre époque".




Dans l'avis au lecteur qui figure sur le livre édité par Steidl, on peut lire la note suivante:
"Etre riche, c’est être glorieux !" C’est avec ces mots qu’en 1992, Deng Xiao Ping annonça à ses concitoyens et au reste du monde que la Chine était prête à embrasser le mode de vie occidental. En 1978, un programme national de relance économique fut lancé, accompagné dans un premier temps de vastes réformes agraires, puis renforcé au début des années 1980 par la création des Zones Économiques Spéciales (Z.E.S.). Ces réformes constitutionnelles longtemps attendues offrirent à la population chinoise une vision optimiste de l’avenir. Au regard de l’évolution des Z.E.S. dans le sud de la Chine, le président vieillissant fit cette déclaration, et par la même occasion, réactiva le processus de développement qui avait été fortement ralenti depuis Tiananmen. La possibilité pour les Chinois d’adopter un mode de vie contemporain eut un impact flagrant à la fois sur l’économie et l’écologie mondiales. Edward Burtynsky présente dans ce livre des photographies des vestiges et des zones récentes de l’industrialisation chinoise – ces lieux créés à la "gloire" de la richesse pour une civilisation puissante aspirant à aller de l’avant et à rejoindre les rangs des nations modernes. Grâce à son sens de la diplomatie, Edward Burtynsky a pu pénétrer dans ces sites difficiles d’accès, et en extraire des images à la fois saisissantes et inquiétantes. Ces photographies nous offrent le privilège d’entrevoir les effets de la transformation sociale et économique actuelle en Chine. Edward Burtynsky porte un regard attentif sur les expressions extrêmes de l’industrie chinoise. Parmi ses sujets, on trouve le barrage des Trois Gorges, le projet d’équipement le plus important à l’heure actuelle, et Bao Steel, le plus grand producteur d’acier de Chine. Il explore les derniers dinosaures d’anciens complexes industriels situés dans "la ceinture de la rouille", au nord-est, et les chantiers navals de Qiligang, le site de construction navale le plus dense du pays. Son appareil photo pénètre dans des villages entiers dédiés uniquement au recyclage des déchets électroniques, des plastiques et des métaux, dont le tri soigné est fait manuellement. Il nous emmène dans des ateliers aux perspectives infinies tels que celui de Cankun, le plus grand producteur de fer mondial (23 000 employés) ; Yu Yuan, un fabriquant de chaussures de sport (90 000 employés) ; et Deda, le principal industriel avicole de Chine. Enfin, Edward Burtynsky fixe son attention sur le paysage des sites, et s’attache également à la grandeur et à la modernité de la Chine à travers l’effervescence de centres comme Shanghai, où d’innombrables gratte-ciel remplacent à un rythme rapide d’élégantes constructions plus anciennes qui ont autrefois accueilli le flot incessant de nouveaux citadins emplis d’espoir. Adolescent, Edward Burtynsky a travaillé dans d’immenses usines d’assemblage automobile, ainsi que dans les mines d’or du nord de l’Ontario. En tant qu’artiste, il s’est nourri de ces expériences et de l’apprentissage de son métier de photographe. Il applique ses connaissances des grands espaces industriels à son expérience sur le terrain, créant des images dont l’expression finale se traduit par les somptueuses épreuves en couleur, à grande échelle, qui sont sa marque de fabrique. Depuis 1978, les sujets choisis par Edward Burtynsky varient entre mines, carrières, usines de recyclage, gisements pétroliers, raffineries et chantiers navals. Ses oeuvres détaillées et précises apportent un témoignage sur la relation évolutive de l’homme par rapport à la nature à travers les paysages industriels qu’il a construits. Sans célébrer ni condamner l’industrie, les photographies d’Edward Burtynsky sont des passerelles entre la vie que nous menons et les espaces que nous créons pour la mener. Ces trois dernières années, Edward Burtynsky a concentré son travail sur des sujets analogues ; cette fois, nous découvrons une standardisation consciencieuse. Toutes les industries qu’il a choisies sont situées dans l’immense coeur manufacturier de la Chine. Il nous livre une vue d’ensemble d’une société qui s’évertue à offrir une "vie meilleure" à ses citoyens.


La bande-annonce de ce film documentaire engagé peut-être visualisée sur la vidéo qui suit :


Vous pouvez également découvrir le travail de ce photographe canadien en cliquant ici

jeudi 6 décembre 2007

Le regard culotté



Quatrième de couverture
Cet essai n'est ni une histoire ni une théorie de la photographie. C'est une tentative de formuler ce qui a paru essentiel dans l'expérience photographique. Le point de départ n'est donc pas une théorie ou une croyance a priori. C'est au contraire une longue fréquentation des photographes et de leurs oeuvres qui a conduit à cet examen des processus et des valeurs en jeu dans le regard photographique - une sorte d'inventaire critique. Que se passe-t-il dans le regard, dans la pensée, quand nous voyons des photographies ? Que s'est-il passé quand un photographe a regardé et laissé la trace de son regard sur un objet du monde ? Qu'est-ce qui est pensé ainsi et qui ne saurait être pensé autrement ?

L'auteur vu par l'éditeur
Universitaire, critique d'art, directeur du Centre national de la photographie, Régis Durand est l'auteur de nombreux ouvrages sur la photographie. Aux Éditions de La Différence, il a publié : La Part de l'ombre - Essais sur l'expérience photographique, Disparités - Essais sur l'expérience photographique 2 et Le Temps de l'image Essai sur les conditions d'une histoire des formes photographiques.
Extrait (pages 167-71):
Je dirai tout d'abord que l'art photographique d'aujourd'hui (celui qui utilise le support photographique pour des recherches plastiques diverses) m'apparaît comme un art maniériste par excellence -si on entend par là (sans aucune acception péjorative, il faut y insister) le goût de l'ambivalence et du métissage, la recherche de l'hybride et du contradictoire par le rapprochement de registres, de matériaux et de niveaux différents; le goût aussi de la citation, de la fabrication du nouveau à partir de données antérieures, l'emprunt aux cultures populaires et savantes, etc. Le maniérisme est constamment rapproché ou distingué du baroque, c'est l'objet de débats incessants. Disons, pour faire vite, qu'il semble beaucoup moins lié à certaines périodes historiques, que c'est une notion plus facilement trans-historique (même s'il existe dans la peinture une grande période maniériste, et même si le baroque a lui aussi ce caractère trans-historique).
Le maniérisme est plus un art d'attitude (et on sait ce que l'art d'aujourd'hui doit justement à la définition et à la projection d'attitudes, à la volonté de construire des images et des fictions de soi-même en tant qu'artiste).
(...)les artistes qui peuvent être dit maniéristes : Bertrand Lavier, par son détournement des objets usuels et des opérations de la sculpture, par le jeu des doubles et du recouvrement; Georges Rousse, par son travail sur l'anamorphose de l'espace, ses constructions entre réel et virtuel, entre peinture, photographie et architecture. Car pour qu'il y ait oeuvre maniériste, le détournement ou la juxtaposition ne suffisent pas. Il faut qu'il y ait une volonté très concertée de construction composite, hybride.
(...)De telles opérations, dont on trouverait d'autres exemples dans la création contemporaine, supposent une longue réflexion sur l'histoire et les caractéristiques des pratiques ainsi confrontées. Et cette réflexion (qui s'accompagne d'une réflexivité, c'est-à-dire d'une inscription de son propre cheminement) est peut-être la marque principale de l'art d'aujourd'hui; art hyper-critique et spéculatif, conceptuel encore quand il met l'accent sur les processus, "baroque" quand il parvient à fondre ses diverses composantes dans un ordre et une "croyance" personnels, "maniériste" lorsqu'il joue de ses contradictions, de son caractère hybride et épigonique... Dans tout cela, par ses ressources aussi bien documentaires que plastiques, par sa ductilité extrême et son pouvoir fictionnel, la photographie a un rôle essentiel à jouer -lorsqu'elle ne se replie pas sur des débats et des stratégies d'un autre temps.