jeudi 24 janvier 2008

E-mouvoir



Parmi les cinq fonctions de l’éloquence (docere, probare, movere, delectare, flectere), les deux premières, transitives, relèvent de la transmission rationnelle d’un contenu objectif, les deux dernières touchent à la subjectivité et à l’affect, suggèrent l’éveil des sens et une forme plus séductrice de persuasion ou de conversion. Movere, dans son double sens de mouvoir et d’émouvoir, se trouve à la charnière et semble articuler en une fonction unique (l’"é-motion," ou le "mouvoir/émouvoir") le mouvement et l’affect, le physique et le psychologique, le réel et la fiction. Cette fonction « hybride » du « mouvoir/émouvoir », peut-on la décrire et la théoriser comme la fonction esthétique par excellence que les artistes, toujours aux frontières du matériel objectif et du matériau subjectif, s’efforcent d’explorer et de diversement mettre en œuvre ? S’ouvre là tout un champ de réflexion esthétique, historique et poïétique sur la manière dont l’art, dans des contextes culturels variés, se préoccuperait essentiellement et indissociablement du mouvement (et) de l’émotion, de leurs interrelations multiples et de leurs divers modes d'articulation.

Tous les artistes, classiques ou contemporains, rencontrent, à un moment ou à un autre, la nécessité du mouvement, d'en susciter l'idée ou l'illusion, et d’émouvoir ainsi le spectateur—ou de le mouvoir. Du mouvement réel au mouvement fictif, représenté ou transposé, le mouvoir habite et informe l'art, et l'artiste est lui-même, dit-on souvent, mu à la création par l'émotion. Mais le mouvement habite-t-il essentiellement toute œuvre—fût-ce secrètement ou de manière détournée? Anime-t-il toute forme de relation esthétique? Dans ces diverses manifestations, est-il, plus ou moins nécessairement, associé à l'émouvoir? Et comment l’émotion découle-t-elle ou s’accompagne-t-elle d’un mouvement ?

On connaît Pygmalion et le topos de la statue (ou du tableau) qui s’anime ou qui parle. Que seraient la peinture ou la sculpture (même abstraites) sans le souci du mouvement? Que seraient la lumière des impressionnistes sans la vibration, l’espace des cubistes sans le temps, celui de Rothko sans la pulsation, le dripping sans la durée autographique du geste, les machines de Tinguely sans leur singulière agitation autodestructrice ? La musique et le cinéma, mais aussi la poésie, le théâtre ou la danse, travaillent sans cesse dans un rapport au temps, au mouvoir et au rythme qui est au cœur de leur relation à l’émouvoir (variation, montage, mise en scène, déplacement métaphorique, gestualité ne sont que quelques exemples de ce qui, mettant en œuvre le mouvement dans ces arts, a aussi l'émotion pour enjeu). Par ailleurs, toute immobilité ne s'impose-t-elle pas finalement sur fond de mobilités absentes ou occultées: mobilité du modèle, du regard, de l'écoute, du spectateur lui-même ou du monde qui l'entoure? La trace immobile du pinceau, telle ou telle empreinte ou image figée, exemples parmi cent autres, ne sont-elles pas esthétiquement et émotionnellement chargées, non pas de la présence ou de l'absence, mais de ce qu'il y a eu mouvement (application et retrait)? Mais comment et pour quel effet?

Comment animer l'inanimé et quelle est la qualité d'animation spécifique de cet "inanimé" qu'est l'art ? Comment le "mouvoir/émouvoir" de l'art, par cette association même, se distingue-t-il du mouvement et de l'émotion usuels du quotidien? Et s'en distingue-t-il? Ainsi, le rapport mimétique de l’art à la vie « vraie », par-delà les revendications réalistes ou littéralistes qui, pour une part, confondraient le "mouvoir/émouvoir" de l'art avec le mouvement et l'émotion du quotidien, est bien souvent, et essentiellement, affaire de mouvement, l’émotion naissant de ce que l’objet inanimé soudain s’anime (comme la métaphore selon Aristote "met sous nos yeux" ce qu'elle désigne par déplacement) et de ce que, de ce mouvement, naît l'émotion du spectateur. Double mouvement, donc, en perspective, où le "mouvoir/émouvoir" se trouve en outre associé au geste même de "mettre sous les yeux".

Il ne suffira donc pas de constater les innombrables formes du rapport entre l'art et la-vie-comme-mouvement. Il faudra interroger les nécessités esthétiques de ce rapport, la nature, les formes et les complexités artistiques de ces liens, éventuellement leurs attendus et manifestations intellectuels, historiques et culturels.

Y a-t-il une loi de création, de transformation ou de conservation du mouvement dans la relation esthétique? Quelles sont les règles et/ou les occurrences particulières, voire exceptionnelles de cette circulation à deux sens du "mouvoir/émouvoir" entre l'œuvre et le spectateur, entre l'artiste et son œuvre, entre l'artiste et le spectateur? De l'œuvre, de l'artiste ou du spectateur, qui (é)meut qui et qui est (é)mu par qui? Y a-t-il seulement de l'(é)motion en art? Comment, par le truchement d'une œuvre, le mouvement physique, fût-il virtuel, se transmue-t-il (ou se transmet-il) en émotion ou en affect—ou inversement? Et les formes de virtualisation du mouvement ou de l'émotion (leur fictionnalisation?), c'est-à-dire les moyens mêmes de leur transmission, y sont-elles pour quelque chose? Et comment? L'émotion et le mouvement survivent-ils à leur représentation?

On s'abstiendra donc de ne traiter que de l'émotion à travers le mouvement ou du mouvement comme effet ou cause de l'émotion. On s'efforcera au contraire d'analyser et d'exemplifier comment, dans la théorie comme dans les œuvres, l'un et l'autre peuvent (ou ne peuvent pas) s'associer dans cette fonction esthétique dont le colloque explorera contradictoirement l'hypothèse: celle du "mouvoir/émouvoir".

Colloque : Mouvoir/Emouvoir, ou la fonction esthétique? ("Rhétoriques des arts"), université de Pau, France.






mardi 22 janvier 2008

Annonce des contrôles


Cet examen (épreuve écrite) concerne en priorité les étudiants du master "Lettres et expressions artistiques" (niveau semestre III). La date de cette épreuve sera fixée ce jeudi 24 janvier 2008 durant la séance du séminaire.
Pour les étudiants du semestre I, il est impératif de rendre les travaux gravés sur CD Rom avant les vacances.

dimanche 13 janvier 2008

Attention Tanger !


Je vous invite à visualiser l'ensemble de ces cartes postales tangéroises de l'ère coloniale en cliquant ici

mercredi 9 janvier 2008

Naissance du style hispano-mauresque



Les 14 et 15 janvier 2008, à l'institut Cervantes de Fès, se tiendra le premier symposium consacré à l'émergence du style architectural hispano-mauresque. Seize conférences seront données à cette occasion. J'ai relevé sur le programme de cette manifestation 3 communications en langue française. Elles examineront la naissance et l'épanouissement de ce style architectural et artistique dans le cadre de la cité de Fès et ce, le lundi 14 janvier à 16 heures.
Pour de plus amples informations, contactez l'institut Cervantes :

Instituto Cervantes de Fez

5, Rue Douiat, résidence Walili

30 000 - Fez - Marruecos

Tel.: +212(0)35732004 - Fax: +212(0)35731981

http://fez.cervantes.es - www.cervantes.es



jeudi 3 janvier 2008

Fantasmes mauresques


Dans la même veine de mon précédent post (cf. mardi 11 décembre 2007) consacré à la photographie coloniale, cet ouvrage relié a été publié récemment (avril 2007) chez Hors Collection. Il est intitulé : " Rêves mauresques: de la peinture orientaliste à la photographie coloniale". Il est le résultat d'une triple collaboration : Safia Belmenouar, Gérard Guicheteau et Marc Combier. A partir de données iconographiques, il permet d'une part de comprendre la subjectivité du regard colonial posé sur la femme maghrébine et d'autre part, d'apprécier l'impact de la peinture dite orientaliste sur la photographie qui a eu cours dans les colonies. Cinq thèmes majeurs se partagent le livre : "La femme voilée", "L'intérieur du harem", " La mauresque aux seins nus", "Danseuses et Bayadères" et " Costumes d'apparat, parures et bijoux".
Présentation de l'éditeur
L'orientalisme, né des grands voyages vers l'Orient "mystérieux", fut une mode de l'Occident qui prit successivement plusieurs aspects. Il se fondit, pour terminer, dans l'esprit colonial. Sinon le territoire imaginé, rien de commun entre le Mamamouchi de Molière et ces jeunes femmes, peintes ou photographiées. Toutefois, la matérialité de la photographie ne doit pas nous induire en erreur : ces jeunes femmes n'existent pas... Elles ont peut-être existé dans une autre vie, mais ne les cherchez plus. Elles appartiennent à une ethnie virtuelle : celle des "Mauresques", variante piquante des fantasmes de l'orientalisme finissant figé par le bromure ou la peinture artiste. Pour la plupart, ces photos de René Prouho et de Jean Combier furent publiées en cartes postales. L'image était destinée à soutenir, au recto, la correspondance appliquée d'une clientèle locale, mais, plus encore, celle, importante et sans cesse renouvelée, des jeunes soldats venus de la métropole. Le succès de certains sujets amena la constitution de collections qui s'appuyaient sur deux axes : les décors et paysages du Sud ; les Mauresques. Le goût et les souhaits de René Prouho comme de Jean Combier rencontrèrent les goûts d'un public enchanté par ces "scènes et types" présentant humains et paysages dans des compositions toujours très maîtrisées.

mardi 1 janvier 2008

Don Quichotte à Tanger

La nouvelle intitulée Don Quichotte à Tanger est parue initialement dans l'édition d'août 2005 du Monde Diplomatique, en honneur aux 400 ans de Don Quichotte de la Mancha, roman de Miguel de Cervantès qui est souvent considéré comme le plus grand roman de tous les temps. Ce numéro du Monde Diplomatique était à l'époque au Maroc vite devenu introuvable et, paraît-il, un marché noir de la photocopie s'est presque développé au fil des mois. Mais de quoi parle cette nouvelle un peu fantaisiste (en effet le propos est de faire revenir un écrivain/personnage Cervantès/DonQuichotte, qui se mêlent au cours du récit dans le Tanger de 2005). Tahar Ben Jelloun semble vouloir critiquer le paysage urbain d'une ville défigurée et aux monuments historiques abandonnés. Tanger, en tout cas celle qui transparaît dans cette nouvelle, est une ville que personne n'arrive à redresser, problèmes multiples dus aux immigrés africains qui tentent d'arriver en Europe, aux trafiquants de drogue et à une administration inculte et incompétente. En conclusion faire quoi que ce soit à Tanger relève d'une entreprise impossible, tout comme Don Quichotte qui est parti en guerre contre des ... moulins à vent. Et si finalement ce Don Quichotte n'était autre que Tahar Ben Jelloun, essayant envers et contre tous de se battre pour sa ville. (Sources : http://bibliotheca.skynetblogs.be/)
Je vous invite à lire cette nouvelle en cliquant ici.