mercredi 11 mars 2009

Photofictions

Présentation : Paru le 12 février 2009, le livre de Roger-Yves Roche ( enseignant de photographie et de littérature à l'université Lumière-Lyon 2) intitulé : Photofictions. Perec, Modiano, Duras, Goldschmidt, Barthes et publié aux Presses Universitaires du Septentrion est présenté par les éditeurs en ces termes :
"Débrouiller l'écheveau complexe de la mémoire et des images, et singulièrement de la photographie, dans le texte autobiographique contemporain (celui-là même que l'on nomme parfois autofiction), telle est la tâche que s'est donnée l'auteur du présent ouvrage.
Un essai fait de patience et de passion, qui, quand il n'est pas une tentative de mise au jour d'une sorte d'inconscient visuel à l'oeuvre, prend très vite les allures d'un roman familial à plusieurs voix.
Où s'entrelacent les fils et ficelles de la ressemblance et de la différence, du mort et du vif, et, aussi bien, du masculin et du féminin : le fantasme de la réconciliation d'un auteur avec son image, en quelque sorte."

En voici, en guise de premier contact avec cet ouvrage, de courts extraits :

Avertissement (entrée des fantômes)

Chérie, les photos sont belles, les photos sont indispensables, mais elles sont aussi un tourment.
Franz Kafka, Lettres à Felice

L'histoire est forcément connue, puisqu'elle figure dans toutes les histoires de la photographie. C'est l'histoire dans l'Histoire et c'est une histoire de famille, déjà. Baudelaire n'aimait pas la photographie, il la détestait. On a encore en mémoire le violent anathème qu'il jeta à son endroit. «Jours déplorables» qui ont vu naître la triviale image et destin de misère annoncé : «Mais s'il lui est permis d'empiéter sur le domaine de l'impalpable et de l'imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l'homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous !». L'histoire, cependant, ne s'arrête pas là, et c'est heureux pour nous. Car tel poète peut bien élever la voix tout entière contre les effets et méfaits d'une nouvelle forme d'image qui vient tout juste de naître, il n'en reste pas moins homme, et donc soucieux, voire désireux, d'aller y voir d'un peu plus près. À quoi ça ressemble, à quoi je ressemble. Et de s'abandonner sans autre forme de procès (sic) à l'objectif de Nadar l'ami, ou celui de Carjat, le sorcier. De fort beaux portraits en vérité, éloquents en diable, inaltérables à souhait. Mais ce n'est pas tout, ou pas assez. Le poète a sans doute d'autres raisons que les photographes ignorent. Dont acte.

Baudelaire désire donc et aussi, un jour, que sa mère se fasse photographier. Une lettre le prouve, adressée à Madame Aupick et datée du 22 décembre 1865, cette lettre-là plus intime que l'autre citée plus haut : «Je voudrais bien avoir ton portrait, c'est une idée qui s'est emparée de moi. Il y a un excellent photographe au Havre. Mais je crains bien que cela ne soit pas possible maintenant. Il faudrait que je fusse présent». Et puis, on comprend très vite que ce que Baudelaire veut, c'est prendre la place du photographe : «Tu ne t'y connais pas, et tous les photographes, même excellents, ont des manies ridicules ; ils prennent pour une bonne image une image où toutes les verrues, toutes les rides, tous les défauts, toutes les trivialités du visage sont rendus très visibles, très exagérés». Et puis enfin, on finit par croire que cette photographie ne serait pas précisément une photographie, mais une représentation qui oscillerait entre le dessin et la photographie, entre une absence métaphorisée, «passée» dans les traits, et une présence inscrite à même la matière : «Il n'y a guère qu'à Paris qu'on sache faire ce que je désire, c'est-à-dire un portrait exact, mais ayant le flou d'un dessin».