Jardins de Méditerranée :
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« Les vrais paradis sont les paradis
qu’on a perdus » (Marcel Proust)
« Les nomades ne font pas de jardin
», dit Gilles Clément. Le premier jardin est celui de l’homme ayant choisi de faire cesser l’errance, de
créer un enclos (jardin vient du germanique Garten, enclos) pour protéger son
potager, le premier jardin est vivrier . En persan, cet enclos se dit pairidaeza
(de pairi, autour et daeza, rempart) qui a donné paradis. En son centre jaillit
l’eau, sans laquelle il n’est point de jardin.
Ce Paradis va nourrir, tout autour de
la Méditerranée, nombre de mythologies et de récits fabuleux, l’épopée de
Gilgamesh et son jardin Dilmun, et les jardins suspendus de Babylone, une des sept
merveilles du monde.La Bible, bien sûr, et son jardin d’Eden, le Paradis
terrestre dont Adam, fait de terre (humus : humain) et Eve sont chassés,
lorsque Dieu et les humains ne peuvent plus cohabiter, comme le rappelle Thomas
Römer dans ses cours du Collège de France.
Le Jardin des Hespérides, pour les
Grecs, renferme les pommes d’or, cependant que les jardins d’Arcadie, patrie du
dieu Pan, sont chantés par Théocrite, puis par Virgile (les Bucoliques) et
Ovide (les Fastes). Cicéron écrit à Varon : « Si tu as une bibliothèque et un
jardin, tu as tout ce qu’il te faut. »
Car le jardin est aussi le lieu où se
déploie la pensée. Platon installe dans le jardin dédié à Akadémos son Académie
(cf. Phèdre, 82sqq), Epicure et ses disciples jardinent en discourant sur le cosmos
où toutes choses croissent et périssent.
Le mot paradeisos en grec apparaît
pour la première fois chez Xénophon lorsqu’il décrit les jardins achéménides.
La Perse, en effet, va populariser la conception du Chahar Bagh, le jardin
divisé en quatre parties, irrigué par quatre canaux qui rappellent les quatre
fleuves d’Eden. Ce modèle sera la base de tous les jardins en terre d’Islam. «
Il les récompensera pour leur patience en leur donnant un jardin et des
vêtements de soie », dit le Coran 76-12.
Tout autour de la Méditerranée vont
fleurir des jardins où se réunissent les majalis (pluriel de majlis, assemblée
de poètes). « Au-delà du bien et du mal, il y a un jardin » (Rûmî). Le bustân, verger
planté d’arbres fruitiers, jouxte le Gulistân, la roseraie, dont celle
d’Ispahan est chantée par Saadi (et par Leconte de Lisle, sur une musique de
Gabriel Fauré). Maurice Béjart leur rendra hommage avec son ballet Golestan
donné à Persépolis en 1973.
Toute cette histoire des jardins est
liée à l’évolution des infrastructures hydrauliques : canaux, norias, shadouf,
seguïa, qui alimentent fontaines et jets d’eaux, depuis les jardins d’Hadrien à
Tivoli, la villa de Tibère à Capri, les jardins du Décaméron de Boccace, ceux
de l’Alhambra de Grenade, de l’Alcazar de Séville, la mezquita de Cordoue,
l’Agdal de Marrakech, jusqu’à inspirer les jardins des cloîtres médiévaux de
l’Europe chrétienne, où se cultivent les simples et les plantes médicinales.
Avec le réchauffement de la planète
se pose la question de l’aridité croissante. Nombre de chercheurs et de
paysagistes se penchent sur des solutions et développent des « jardins
d’aridité » en recherchant des espèces végétales plus adaptées aux nouvelles
conditions climatiques.
Car le jardin est avant tout culture,
dans tous les sens du terme (du latin colere, cultiver, veiller sur), et toutes
les cultures s’échangent et communiquent. Le Jardin d’essai d’Alger (Al Hamma) acclimate
les eucalyptus d’Australie avant de les exporter vers la Côte d’Azur (le jardin
d’Albert Kahn). Les tulipes de Topkapi ont nourri des spéculations insensées
dans les Pays-Bas du dix- septième siècle.
Partout fleurissent les jardins
méditerranéens, le jardin de la villa Majorelle à Marrakech, le jardin exotique
d’Eze, cher à Nietzsche, les Colombières à Menton, le jardin méditerranéen de
Roquebrun ou le jardin antique de Balaruc-les-Bains dans l’Hérault. Et bien sûr
le somptueux Parque Güell de Gaudi à Barcelone ! On ne saurait tous les citer.
« Le jardin, c’est la plus petite
parcelle du monde, et puis c’est la totalité du monde. Les jardins, c’est
depuis le fond de l’Antiquité, une sorte d’hétérotopie heureuse et
universalisante. » (Michel Foucault, « des espaces autres », Dits et écrits, Gallimard,
2001.
*
Quelques lectures :
-Audurier-Cros Alix, «Les emprunts à l’art des jardins hispano-mauresques dans le
midi méditerranéen français,» in Horizons maghrébins, n°45, 2001
-Bonnefoy Yves, L’arrière pays, Skira
-Colin Frank, « Poétique de l’Arcadie, de Virgile à Bonnefoy », Bulletin de l’Association Guillaume
Budé, n°2, 2006
-Diodore de Sicile, L’Histoire, livre II
-Ducrocq Anne, Jardins spirituels, Gründ Presses de la Renaissance, 2018
-Gilles, Une brève histoire des jardins, éditions du 81, Paris 2020
-Harrison Robert, Jardins, une histoire buissonnière, Champs Essais Flammarion 2022
-Gillot Gaëlle, Du paradis à Dream Park, les jardins dans le monde arabe, Damas, Le Caire, Rabat,
Annales de Géographie, 2006
-Ibn Zarak, Poème de la Cour des Lions
-Katan Karim, Hortus conclusus,l’extrème contemporain, 2025
-Lebart Luce, Natures vivantes, Images et jardins d’Albert Kahn, Musée Albert Kahn, 2024
-Leygonnie Alain, Un jardin à Marrakech, Jacques Majorelle peintre-jardinier 1886-1962, Michlon
2007
-Maalouf Amin, Les jardins de lumière,1991
-Maurières Arnaud et Ossart Eric, Onze jardins d’aridité, expériences marocaines, Pyramyd
éditions, 2024
-Nerval, Gérard de, « les jardins du calife Hakem » in Le voyage en Orient, 1851
-Collectif, Jardins d’Orient, de l’Alhambra au Taj Mahal, Institut du Monde Arabe 2016
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