jeudi 6 décembre 2007

Le regard culotté



Quatrième de couverture
Cet essai n'est ni une histoire ni une théorie de la photographie. C'est une tentative de formuler ce qui a paru essentiel dans l'expérience photographique. Le point de départ n'est donc pas une théorie ou une croyance a priori. C'est au contraire une longue fréquentation des photographes et de leurs oeuvres qui a conduit à cet examen des processus et des valeurs en jeu dans le regard photographique - une sorte d'inventaire critique. Que se passe-t-il dans le regard, dans la pensée, quand nous voyons des photographies ? Que s'est-il passé quand un photographe a regardé et laissé la trace de son regard sur un objet du monde ? Qu'est-ce qui est pensé ainsi et qui ne saurait être pensé autrement ?

L'auteur vu par l'éditeur
Universitaire, critique d'art, directeur du Centre national de la photographie, Régis Durand est l'auteur de nombreux ouvrages sur la photographie. Aux Éditions de La Différence, il a publié : La Part de l'ombre - Essais sur l'expérience photographique, Disparités - Essais sur l'expérience photographique 2 et Le Temps de l'image Essai sur les conditions d'une histoire des formes photographiques.
Extrait (pages 167-71):
Je dirai tout d'abord que l'art photographique d'aujourd'hui (celui qui utilise le support photographique pour des recherches plastiques diverses) m'apparaît comme un art maniériste par excellence -si on entend par là (sans aucune acception péjorative, il faut y insister) le goût de l'ambivalence et du métissage, la recherche de l'hybride et du contradictoire par le rapprochement de registres, de matériaux et de niveaux différents; le goût aussi de la citation, de la fabrication du nouveau à partir de données antérieures, l'emprunt aux cultures populaires et savantes, etc. Le maniérisme est constamment rapproché ou distingué du baroque, c'est l'objet de débats incessants. Disons, pour faire vite, qu'il semble beaucoup moins lié à certaines périodes historiques, que c'est une notion plus facilement trans-historique (même s'il existe dans la peinture une grande période maniériste, et même si le baroque a lui aussi ce caractère trans-historique).
Le maniérisme est plus un art d'attitude (et on sait ce que l'art d'aujourd'hui doit justement à la définition et à la projection d'attitudes, à la volonté de construire des images et des fictions de soi-même en tant qu'artiste).
(...)les artistes qui peuvent être dit maniéristes : Bertrand Lavier, par son détournement des objets usuels et des opérations de la sculpture, par le jeu des doubles et du recouvrement; Georges Rousse, par son travail sur l'anamorphose de l'espace, ses constructions entre réel et virtuel, entre peinture, photographie et architecture. Car pour qu'il y ait oeuvre maniériste, le détournement ou la juxtaposition ne suffisent pas. Il faut qu'il y ait une volonté très concertée de construction composite, hybride.
(...)De telles opérations, dont on trouverait d'autres exemples dans la création contemporaine, supposent une longue réflexion sur l'histoire et les caractéristiques des pratiques ainsi confrontées. Et cette réflexion (qui s'accompagne d'une réflexivité, c'est-à-dire d'une inscription de son propre cheminement) est peut-être la marque principale de l'art d'aujourd'hui; art hyper-critique et spéculatif, conceptuel encore quand il met l'accent sur les processus, "baroque" quand il parvient à fondre ses diverses composantes dans un ordre et une "croyance" personnels, "maniériste" lorsqu'il joue de ses contradictions, de son caractère hybride et épigonique... Dans tout cela, par ses ressources aussi bien documentaires que plastiques, par sa ductilité extrême et son pouvoir fictionnel, la photographie a un rôle essentiel à jouer -lorsqu'elle ne se replie pas sur des débats et des stratégies d'un autre temps.