lundi 5 novembre 2007

L'ultime image



Présentation du dernier roman de Laurent Graff : Cela sonne comme un arrêt : la dernière photo. Comme il y a le dernier verre, le dernier jeton ou l’ultime message. Graff invente la forme neuve de la roulette russe : l’objectif à l’œil, comme le canon tout contre la tempe. On presse : y a-t-il une vie, passé le couperet de l’ultime clic ? Jeu, set et match ? Neigel, le héros, se cogne à tous les angles d’un deuil amer, celui de M. Un jour à Rome, Méphisto, entendez un sieur Giancarlo Romani (un homme que l’humain intéresse, ex-prêtre) lui offre un voyage et un appareil photographique. Règle du jeu : clore la bobine en prenant « la dernière photo ». Il n’est pas seul à jouer : d’autres sont là, comme lui, avec leur dernière case à cocher : un Japonais, maître-pêcheur de carpe, un ex-mannequin et Eros (de Bilbao). Alors, que prendre dans les rets du viseur ? Une photo qui tout résumera, apocalypse intime, une photo pour rien, une photo de rien, un souvenir à loger au coin d’un miroir, un fragment d’idéal. Geste dérisoire, simple pression, mais choix décisif. Chacun choisira de prendre ou de ne pas prendre LA photo. Neigel, lui, en fera un rendez-vous fantomatique, une hallucination douce, en reviendra plus léger.Tout cela semble bien innocent. Vraiment ?
Extrait: "J'ai cessé de prendre des photos il y a vignt ans, après la mort de M. J'avais à l'époque un Mamiya 35 mm de bonne tenue; je faisais uniquement de la couleur. Je remplissais des alblums entiers. Partout où nous allions -dès que son état de santé le permettait, nous partions en escapade-, j'emportais mon appareil. Je fixais sa présence et en tirais une image, comme pour arrêter ou ralentir le temps, l'empêcher, comme des bâtons dans les roues. Chaque photo était une carte abattue dans la bataille que nous livrions. M. est morte un jeudi, le 7 septembre. J'ai rangé mon appareil et je ne l'ai plus ressorti.
La photographie, aujourd'hui, a perdu beaucoup de son âme avec l'avènement des appareils numériques. Les photos n'ont plus ce caractère crucial et définitif qu'elles avaient du temps de la photographie argentique. Bonne ou mauvaise, une photo était irrévocable et était décomptée de la pellicule. Le développement du film révélait de manière implacable, dans l'ordre chronologique, images réussies et images ratées; impossible d'échapper à la sentence et aux statistiques. Même s'il était toujours permis de multiplier les photos et de renouveler la pellicule, chaque prise de vue avait une valeur unique, et représentait un petit miracle. La dernière photo avait un statut distinct, une saveur particulière. Bien souvent, elle était bâclée, expédiée, pour en finir au plus vite; mais parfois, elle était, au contraire, retardée, soignée, calculée, pour finir en beauté. Alors, on rembobinait.
A la mort de M., il restait quelques photos dans l'appareil. Je les ai prises en fourrant le boîtier sous un oreiller, comme on vide une bouteille dans un évier, pressant le déclencheur en aveugle.
Lien: je vous invite à cliquer sur le terme vidéo pour suivre un entretien de l'auteur à propos de son dernier roman.