mardi 19 octobre 2010

"lire & voir"

"lire & voir" est une série de publications qui sera consacrée à l'examen des rapports entre textes et images fixes dans le contexte du livre. Le premier ouvrage de la série à voir le jour est :
Livres de photographies et de mots, sous la direction de Danièle Méaux, Caen : Lettres Modernes Minard, coll. « Lire et voir » 2009, 252 pages.



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Anne Reverseau a rédigé et publié un premier compte rendu de ce livre . En voici des extraits: (...)Dans son texte introductif, D. Méaux examine la dynamique entre le texte et l’image dans des productions mixtes, dites « hybrides », qui ne sont pas forcément des objets littéraires. Selon elle, le « livre de photographies et de mots » est « un espace de brouillages et d’interférences », mais aussi un objet défini par la spécificité de la photographie. En effet, sa relation particulière au temps et sa capacité de « recontextualisation » facilitent l’insertion d’images photographiques dans un récit ou dans une fiction (p. 16-17). D. Méaux fait le choix d’exclure l’image animée (vidéo et cinéma) de son champ d’étude puisqu’elle ne relève pas du même imaginaire que la photographie, dont l’« arché », en particulier la capacité d’incarnation, influe sur les textes.

Les « livres de photographies et de mots », grâce à leurs jeux avec « le dispositif de véridiction » (p. 12) notamment, font bouger la ligne entre réel et fiction et la frontière entre les genres. Plus encore, ils appellent à une réflexion nécessairement transdisciplinaire : la démarche de ce collectif, comme d’autres ouvrages portant sur la photo-littérature, pourrait bien être de regrouper les marges de certaines disciplines pour constituer un nouveau champ disciplinaire. On retrouve donc dans Livres de photographies et de mots les difficultés inhérentes à ce champ, comme la classification d’objets hybrides ou l’ouverture vers le contemporain.

Certains articles s’intéressent à une œuvre, comme Le Feu de Valère Novarina et Thérèse Joly (1994), analysé par Jean-Pierre Montier et Récit de François Hers (1983), qu’étudient Jan Baetens et Mike Bleyen, ou à un ensemble d’œuvres : les romans-photo de Marie-Françoise Plissart et Benoît Peeters (Alexandra Koeniguer) ou les publications de Joseph Kosuth (Jacinto Lageira). D’autres articles envisagent des corpus plus importants : textes autobiographiques et photographiques pour Véronique Montémont, large corpus de romans associés à la photo pour Chloé Conant et pour Jean Arrouye — d’Orfa d’Armand Sylvestre (1901) aux travaux plus contemporains de Christian Bobin, Marie Ndiaye ou Marie Desplechin —, textes et images de rêve pour Christine Buignet, livres d’artistes conceptuels pour Jérôme Dupeyrat et livres de photographes pour Christophe Viart. Les deux dernières études se penchent sur des ensembles plus inattendus comme les images de calendriers dont Boris Eizykman dresse un panorama historique et les livres illustrés accompagnant certains disques vinyles Post Punk, présentés par Paul Edwards.

Le principal problème de ce champ de recherche réside dans l’hétérogénéité de ses objets. « Iconotextes » pour Véronique Montémont (p. 40), « photo-texte » pour Paul Edwards (p. 240), « entreprises iconico-textuelles » pour Jean Arrouye (p. 54), « œuvres phototextuelles » pour Chloé Conant (p. 76) : la difficulté à trouver une appellation stable pour ces objets est le signe d’un malaise, concernant jusqu’au statut littéraire ou même artistique de ces « livres de photographies et de mots ».

Quelques articles insistent particulièrement sur la multitude d’objets concernés. Jean Arrouye aborde par exemple de front la question de la classification en catégorisant les ouvrages selon les différentes fonctions de la photo — de « l’illustration de détail » à l’anticipation ou à l’« allégorie » — et selon son statut, du modèle sémiotique, dans le cas de Notre Antéfixe de Denis Roche, au documentaire ou à la « réserve de fiction », en passant par l’« écloserie de sentiments », dans L’Usage de la photo d’Annie Ernaux et Marc Marie (p. 71). En tenant compte des contraintes économiques dans les choix artistiques, Chloé Conant remarque quant à elle que chaque ouvrage inaugure un « nouveau dispositif » (p. 75) et distingue les dispositifs illustratifs des dispositifs de légende ou de commentaire, ou d’agencements plus complexes comme celui du cahier.

Il ressort de ces études que le « livre de photographies et de mots » crée un jeu, c’est-à-dire un espace libre, entre les deux médiums. Les artistes et écrivains jouent avec cet espace d’indétermination entre le réel et la fiction, explique Véronique Montémont (p. 39). L’image « ouvre un horizon nouveau au texte » (Buignet, p. 110), elle peut être un « embrayeur de mémoire… ou de fiction » (Arrouye, p. 57) et, enfin, elle rend possibles des ouvrages à contraintes ou expérimentaux, des livres profondément « ludiques » (Conant, p. 76 et p. 90). Dans les textes de « musiciens photographes » comme Philippe Fichot et John Foxx, dont il analyse en détail la « poétique toute photographique » (p. 245), Paul Edwards repère une « prévisualisation », c’est-à-dire une « vision intérieure d’une photographie à venir » (p. 246). Quelle que soit sa fonction, ce jeu est un espace de liberté, le lieu d’une « cocréation », terme que Véronique Montémont reprend à François Soulages (p. 38), à laquelle participe le lecteur, véritable « coproducteur de l’œuvre » dans les livres d’artistes de Lawrence Weiner, Jochen Gerz ou Robert Barry selon Jérôme Dupeyrat (p. 172).

La plupart des travaux publiés ici mettent en valeur les points de contacts, voire l’intrication profonde, entre production littéraire et production artistique. Parallèlement à la montée en puissance des images, au-delà de la question de l’illustration, qu’on constate en littérature, Jérôme Dupeyrat prend acte de la présence grandissante du texte dans l’art depuis les années 1960.

On comprend alors comment se rapprochent l’image photographique et la littérature dans l’espace du livre, mais aussi dans les méthodes d’analyse. En comparant les ouvrages de Lothar Baumgarten, Hamish Fulton et Sophie Ristelhueber, Christophe Viart envisage le « livre comme espace d’exposition » (p. 196) grâce aux outils de la sémiologie et à un héritage littéraire assumé à travers Mallarmé ou Valéry. Et c’est en termes sociologiques qu’Alexandra Koeniguer s’interroge sur la transformation d’un objet de littérature populaire dans « le Nouveau Roman-photo » (p. 216) qui multiplie les mises en abyme et les interrogations sur le médium.

Livres de photographies et de mots éclaire le développement et le contexte historique de ces formes aujourd’hui en vogue. Il semble nécessaire d’en interpréter le succès comme le fait Véronique Montémont pour qui les ouvrages de Legendre et Bonnetto, de Sophie Calle ou de Christian Boltanski ne sont pas seulement des jeux égotistes ou le résultat de la subversion du genre autobiographique (p. 49), mais d’authentiques inventions de formes fictionnelles. Ce collectif montre que la photo est bien une « nouvelle participante au jeu littéraire » (Arrouye, p. 70) et qu’elle ne compte pas se cantonner aux effets de réel. Ces objets hybrides, mêlant textes et photographies, créent, dans leur indétermination même, « un nouvel art de dire et de montrer » (Arrouye, p. 71). Dans la lignée des travaux de Paul Edwards, Livres de photographies et de mots éclaire ainsi le rôle de la photographie dans les imaginaires.

Voici via le sommaire, les questions traitées dans cet ouvrage :

Introduction générale : Le Livre de photographies et de mots : un espace de brouillages et d’interférences, par Danièle MÉAUX.

– 1. Le Feu : présence au monde, incandescence de la parole, parJean-Pierre MONTIER.

– 2. Comment mentir en disant deux fois la vérité : photographie et autobiographie, par Véronique MONTÉMONT.

– 3. Un Nouvel art de dire et de montrer, par Jean ARROUYE.

– 4. Les Petits arrangements de la réalité et de la fiction, par Chloé CONANT.

– 5. François Hers /Récit : pour une poétique de l’étalement, par Jan BAETENS et Mike BLEYEN.

– 6. Notes sur quelques recueils de mots et d’images de rêves, par Christine BUIGNET.

– 7. L’Image telle qu’elle s’énonce, par Jacinto LAGEIRA.

– 8. Coprésence et coproduction. Usages de la photographie et du texte dans les livres d’artistes «conceptuels», par Jérôme DUPEYRAT.

– 9. L’Exposition des mots et des images dans l’espace du livre (les exemples de Lothar Baumgarten, Hamish Fulton et Sophie Ristelhueber), par Christophe VIART.

– 10. De l’image décrite à l’image de l’écrit : la réciproque photo-romanesque, par Alexandra KOENIGUER.

– 11. De l’intempestif au temps gelé des calendriers, par Boris EIZYKMAN.

– 12. Le Livre photo-illustré dans les éditions de luxe de la musique Post Punk, par Paul EDWARDS.